Louise ou La nouvelle Julie
Québec/Amérique, 1981

Salut l'immanence grise,

     Excuse la norme mitée de mon propos, mais ta trouble passion pour la philo, abstraction faite de tes aptitudes pour les amours malheureuses, me fait rigoler. Il y a un lien direct entre le big-bang et moi, que peuvent m'intéresser les divagations de quelque singe muté sur les grecs ou autres fœtus.

     Tu sembles oublier que la télé, les anovulants et l'électronique, pour ne citer que ces trois exemples, furent une révolution populaire bien plus importante que le marxisme, la psychanalyse, la linguistique, l'existentialisme et le structuralisme réunis.

     Lis, affine ton esprit, joue au dégonfleur, élargis ton vocabulaire par l'adjonction de termes rares ou de néologismes, répète l'abc de la crocritique, braveau. Il n'en demeure pas moins que la science reste en avance d'un siècle sur la philo.

     Certains s'intéressent à la dialectique du maître et de l'esclave alors qu'on en est déjà à tenter de produire industriellement de la nourriture synthétique. Tu imagines quel bouleversement ce sera lorsque chacun n'aura qu'à avaler un comprimé 3 fois par jour?

     D'aucuns pérorent à l'infini sur le surhomme, sur la mort de dieu ou sur celle de l'homme; ils négligent cependant les progrès récents de l'ingénierie génétique. Lorsqu'on connaît les signaux qui régissent la transmission des messages d'une cellule, on peut la re-programmer et obtenir ainsi par croisement de nouvelles plantes miracles par exemple (quant à la fabrication en série du surhomme...). La famine disparaîtra lorsque par de telles greffes génétiques à l'échelle moléculaire l'on sera en mesure de fixer de l'azote sur le riz, le blé ou la pomme de terre. Par ailleurs, grâce à la production industrielle d'interféron (agent antivéral qui en plus jouit peut-être de propriétés immuno-stimulantes et anticancéreuses), de nombreuses maladies seront vaincues.

     D'autres se lancent dans des envolées sur la production du discours, mais ils ignorent les progrès faits dans le domaine de l'agrinergie (energy-farming: utilisation, dans le domaine énergétique de la bio-masse — énergie solaire — stockée dans les végétaux). Sans oublier non plus la recherche fondamentale touchant la maîtrise des enzymes, de sorte que la cellulochimie prendra bientôt la relève de la pétrochimie.

     Pense, médite, divertis-toi de fumées spéculatives et discursives; mais ne viens pas m'ennuyer avec le sérieux caractéristique de tes maîtres. Ils déchiffrent encore les bouquins du siècle dernier alors que les hommes de science sont en train de résoudre les énigmes du siècle prochain.

     Non, décidément, j'ai trop de préjugés contre la philo. Et avec raison... puisque ses prémisses (that's the point) sont royalement fausses: l'homme n'est pas un être rationnel, un roseau pensant, un singe doué de langage; ou en tout cas sa rationalité est neutralisée par un forte dose de cruauté, de férocité, de bêtise et de barbarie. Comment expliquer autrement les quelques symptômes suivants? Le cannibalisme et les sacrifices rituels; l'apparente fatalité de la guerre (au cours des 100 dernières années, 100 millions d'hommes ont été sacrifiés à ce sport); la dichotomie entre le haut niveau de notre technique et notre médiocre capacité à régler les problèmes socio-écologiques (le racisme, la pollution, la crise de l'énergie, l'explosion démographique, la faim, la criminalité, etc.); le scandale de l'emploi de la pensée scientifique et de la recherche universitaire à des fins militaires et commerciales; la philosophie, l'idéologie et la religion servant de prétextes à des guerres; etc.?

     Comment expliquer la présence en l'homme de 2 tendances en apparence irréconciliables: la rationalité et la déraison?

     Certains neurologues (adeptes des théories de Papez-MacLean) proposent une réponse: la schizophysiologie. Selon eux, celle-ci constitue une caractéristique essentielle de notre héritage génétique et peut servir d'hypothèse matérialiste lorsqu'on veut jeter une lumière sur les conflits de plus en plus aigus entre raison et déraison.

     Le néo-cortex (le cerveau au sens strict), centre responsable des opérations logiques, symboliques et langagières, est une acquisition tardive des mammifères supérieurs. Toutefois, il n'a pas remplacé ou évincé un organe déjà formé et appelé à disparaître, comme cela, grâce à l'extrême lenteur des changements, se produisit dans le cas des autres mutations; mais il s'est simplement surimposé aux deux autres parties de l'encéphale, en l'occurrence le bulbe rachidien et le cervelet. Ceux-ci sont beaucoup plus anciens: ils datent respectivement de l'époque des mammifères inférieurs et de celle des reptiles.

     L'homme, à cause de l'évolution par trop rapide du néo-cortex, dispose donc de 3 computers mal assortis, mal branchés, mal reliés l'un à l'autre: les deux plus anciens règlent les opérations du domaine instinctuel et émotif, un autre tout récent produit du logos. Déchiré entre diverses contraintes, confronté à des exigences locales et spécifiques, l'homme s'avère incapable de toujours coordonner ses impulsions à sa logique; conséquemment, préjugés (mythologiques, religieux, idéologiques, nationalistes, pseudo-scientifiques, etc.) et analyse logique se font souvent la guerre. Chaque computer veut satisfaire ses prétentions hégémoniques mais puisque chacun pour dominer un champ limité de l'action recourt à une syntaxe passablement différente de celle employée par ses voisins et souvent indécodable par eux, ou puisque, en d'autres mots, la raison est fouettée par l'arbitraire des pulsions et les émotions court-circuitées par les exigences de la raison, l'homme oscille entre une primitivité mi-sauvage et la conscience intellectuelle la plus raffinée.

     Il est donc légitime de conclure par une boutade: l'homme est une « erreur » dans le mécanisme de l'évolution, comme il y en eut des centaines de milliers d'autres, une de ces apparitions farfelues dont la nature dans sa prolixité sans bornes s'est payé et se paiera le luxe. Les extra-galactiques qui un jour écriront notre histoire concluront que la fin de notre planète s'annonce dès l'apparition de l'homme de néantderthal (un peu facile je l'admets, mais tu sais très bien que l'évidence de tes yeux de mots me rend aveugle).

     Ainsi, la mort nous guette de deux côtés. D'une part, de l'intérieur du petit système que nous sommes: puisque les différentes parties de l'encéphale ne sont pas synchronisées de la même façon, il est à craindre que les mémoires qui supervisent nos actions, nourries de données contradictoires qu'elles sont incapables d'assimiler de façon satisfaisante, entrent en conflit et nous poussent à des gestes iconoclastes. D'autre par, de l'extérieur, du centre de ce système que notre relation avec le monde et le cosmos engendre: l'action de la pensée sur l'univers crée un nouvel environnement hostile à l'homme et dans lequel il n'aura pas le temps de s'adapter physiquement. C'est une fois de plus l'histoire du cybernéticien et de sa machine. La mort viendra, soit que celui-là perde le contrôle de soi, soit que celle-ci acquière son autonomie sur/contre lui.

     Mais ce n'est rien encore. La schizophysiologie n'est que l'un des facteurs de schizomort. Il y en a plusieurs autres: le besoin bio-physiologique, chez l'homme adulte, de protection et d'asservissement, acquis par le nourrisson dès les premiers mois et renforcé plus tard par la relation de dépendance qui unit l'enfant et l'adolescent aux adultes; le langage, instrument de démagogie et barrière entre les peuples; la peur de la mort; le poids de l'histoire et de la culture; la tension entre les tendances anarchiques de l'individu et les velléités totalitaires de l'état; etc.

     Ils ont été nombreux les prophètes et les antéchrists qui se sont faits les hérauts d'apocalypses prochaines. Ce qui distingue toutefois notre époque de celle des prophètes, c'est que pour la première fois dans l'histoire de l'humanité nous possédons les moyens techniques de foutre la planète en l'air. On possède par tête et pro Nase l'équivalent d'assez de TNT pour anéantir la population mondiale 4 fois. Sans parler de certaines substances chimiques ou bactériologiques dont quelques centaines de grammes suffiraient à faire disparaître toute trace de vie sur terre.

     La planète terre s'est formée il y a 4 milliards 500 millions d'années; 30 mille ans ont suffi à l'homo sapiens my eye pour la rouler au bord du gouffre. Lis des bouquins de philo et rêve à l'amour en yeutant ta prof. La philo est un leurre superficiel qui, faisant croire à l'homme que les problèmes peuvent être cernés par la raison discursive entre deux couverts d'épais traités, l'empêche de penser vraiment. Et la science trop souvent oeuvre au service de la mort. Que reste-t-il? L'amour peut-être? Admettons. Mais ça ne va pas très loin. Il faut repenser la science, trouver un moyen pour équilibrer les diverses tendances du cerveau et empêcher que la rationalité et la déraison nous mènent à la mort. Apprendre à réconcilier nos forces et nos faiblesses.

     Nous sommes placés devant l'alternative suivante: continuer ainsi sur la voie qui mène peut-être à la catastrophe — et dans ce cas l'homme intelligent n'a qu'à se croiser les bras à la bouddha et à sourire en attendant la fin. Ou tout tenter pour provoquer un changement de notre approche du savoir.

     L'homme jouit de la pensée et du langage; mais c'est aussi un grand malade. Il « maîtrise » l'univers mais semble incapable de se prendre en main. Quel remède trouver? Ta philo, toujours en retard de quelques décennies ou de quelques siècles, n'a rien à proposer. La science, et cela n'est pas aussi paradoxal qu'il le semble à première vue, est la seule antidote en mesure de nous sauver.

     Sur ces bons mots, je te laisse, roméo de mes deux fesses.


Les espaces glissants
Québec/Amérique, 1982

     rousse éros rosse trombinette la pluie au rythme de mes mains venteuses qui dépouillent ton corps ensoleillé de sa peau de vêtement brumeux      deux temps trois mouvements un deux un deux trois je roule je te déwonderbracadabrante ta bouche sous ma langue se déculotte musique svp      dolcissimo entre les nymphes glisssse moderato le médius glisssse le doigt glissant médium dans l'ornière humide c'est si chaud chocho glisssse glisssse le doigt en toi mouillé rose comme poumon glisse le doigt entre les lèvres conniventes sur le con tracté      jambes écartées cuisses musclées chair de sèves nid butyreux ru de velours      planté dans l'écrin humide le doigt glisssse glisssse en toi sur l'éponge douce dans la bouche stellaire      les doigts comme asperges      dans le terreau velu je fouille creuse frotte
     je caressépresse      palpe et tâte et pétrimalaxe la vulve se moule la vulve ointe la vulve glissante de salive la vulve munificente dans laquelle je lave mes mains la vulve toute parfumée lumineuse sous la paume les doigts      je cisèle finement la rose prunelle je dessine des friselis dentelles guêpures tu geins souris tu presses ma main contre ton plaisir con choïdal       vestale à plat sur le matelas cuisses bandées ventre tendu lèvres spumescentes hanches qui roulent roule ma mie tu jouis jouissance tes yeux de verre me scrutent tes yeux et tournent de oui tu jouis plaintes discrètes tu t'approches tu viens tu t'angemboulles tu pistilles à grands coups de hanches cochons au plus secret de tes reins cambrés au plus profond du ventre creusé là au milieu de ton corps ma bacchante tu t'engouffres tu te tends tu t'arques belle statue bandée vibrante musique ta harpe de volupté oh mon anoure tu t'abîmes au-dedans du dedans tu viens tu tu tu tu viens entre tes cuisses ma main prisonnière sur ta chair écartelée cris étouffés sous l'oreiller tu tangues tu roules tu balances hors d'haleine souriante fraîche humide laineuse dune de sable recouverte d'une rosée charnelle mon échevelée ma fougueuse ta lampe amoureuse éteinte ma pellucide tu t'échappes belle

     papesse jeanne tu enserres la houlette de mon troupeau solitaire tu le fleurdelisses tu baises la stimule tu l'oins de salive      va et vient la main de plumes autour du col de cygne il y a des puces sous le pré il y a des gosses dans la bourse tu tâtes tu soupèses ma ménade tu jauges en rose les caramouilles       je contemple ton corps accroupi entre mes jambes la main les seins la courbe des hanches la ligne vertébrale du dos que de doigts tendres et carrés rangés sur le caducée que de belles lunules
     branle branle branle bas branle haut tu m'aphromaniaques tu me chantebranles       branle branle branle tendre branle cru j'ai le feu aux couilles dans mon ventre le foutre en baguenaude fourre les mains dans ses poches        tu me fais droguer je suis plein de foutre sous l'embellie des mains valsant les valseuses      blues cochon bandé dans les yeux voyeurs mon cul palingénésique en mal de priapées       ta main braconne mon sexe gibier je cours vers toi tu accoures me blaires flaires halènes ma douce ma toute douce      branle vit branle lent la poigne solide le branle souverain branle branle ma belle flamande mon foutre à l'étuve      branle branle marraine mes joyeuses ronronnent filent leur laine dans le rouet de tes mains      tu m'arques et je buse tu m'étalumines ma thyade tu me pégases gonfle gonfle le pétulant violette la gaufre la bobinette cherra      branle branle vermeil ma violine abeille butineuse je suis plein de miel honé branle branle la tige turgescente tu me nectarises ça monte ça monte disloqué entre le plaisir et le plaisir du plaisir toute chaire et en noces éperdues entre tes deux mains savantes       branle l'ostensoir en prétentaine branle branle ça monte ça chante ça crie virguline et catapulte ça bande et contrebande fontaine et cascatelle going up going down going up and down and up and down ça trompette violine castagnette et rigodonne      branle branle ça monte ça monte le foutre ça vient le foutre branle branle tu m'extravases tu me chantepleures je roucoule blanc tu écopes par à-coups te me parascèves et whooooooo hou hou *****&&°°°°°°°°§§§§§§!!! hou hou ++++++++++ %%%%%%%% tbrrrrzzzzzzzz à où où ******** +++++++++ ou a ou °°°°°°°°°°°°°°°° et ++++++++++++++ aeeeauuuuaiiiiaoo ++++++++++++§++++++++++++ ‚‚‚‡‡‡‡‡‡‡ ###### •••••••••        ‚‚‚‚‚‚‚‚‚‚‚‚‚         joli hibou
     tu lèches le saint-chrême lustral sur le ventre tu me donnes la becquée
     mine de rien le temps d'une resucée la main enroulée autour de mon namigo je me branle à gogo à genoux à tes côtés un œil plongé dans les tiens un œil sur tes seins
     oh le mamelon framboise sauvagement je branle j'ai les yeux plus grands que l'aréole mon épiphénomène sur tes beaux pampremousses banana split ah mon migne au lait schouagnus jets glace vanille      j'aspire le blanc-manger j'ai peur d'être enceint tu m'avortes

     nous gymnasfitons debout au-dessus de moi tu me tends les mains j'appuie les pieds sur tes os iliaques et te soulève à l'horizontale par une poussée des jambes nos mains se quittent tu veux faire l'avion boum boum colibri      nous rionroulonculbutons nous chronométrons qui peut endurer le plus longtemps le supplice mongole du chatouillement sous la plante des pieds      un propriétaire mi-fugue mi-raisin sonne à la porte de l'arrière-saison nous nous transformons en oiseaux migrateurs à travers la fenêtre de sa volière      nous usons nos langues en de gracieux jeux d'escrime et leur accordons la grâce de les prêter à nos redilemoi bavards
esbèce de gland vou si tu m'emplassais brutôt que de me défoler
betit fagin valveru tu es brein de losée et balvois des chambignons t'enfahissent
si nous vumions du bupis en canne nous selions eubholiques comme des chambions orymbiques
tu ne lévréchis bas
esbèce de glos miclope tu vréchis à tolt et à tlafels
nous n'afons jamais joué au gonopoli
tu tliches tes couirres sont gosmoimborites
et ton fentle hue res lusses
je suis à coulle
je suis le chien pandé en vusir dans ma curasse
et glaine tu as ouprié
et toi berote de raine
je feux déjeuner
bas tout de suite
j'en ai blein le cur de ta jafa
java dormir
     nous interludons le mistigouri oui bien au chaud bien droite mon houka dans ta bouche et de deux doigts en godemiché oh god tu me laboures le rectum recto verso tu me médiuses tu me détroufionnes tu       phallanus bandé phallanus de doigts curieux dans le cul vif comme fanal allumé mon cul phallanussé             et doucement je coule en toi ta langue suce la moelle lèche mes os
                                                                                                                            nous échangeons nos o-rifices ma brichette humblémolle abandonne ses prérochatives à ses frères au fin doigté      mes doigts-de-la-vierge enfouis dans ton cul t'amandragorent ma langue polit piane-piane ta verrue d'or      j'écoute les pulsations de ton sang et comme ça tout à coup sans crier gare dans le catimini de tes cris tu étincelles tu dégorgefolles
     le corps absent la queue euphorique et je me branle la pierre de touche      je m'acharne et me charne souriant pendant de longues minutes je branle vite je branlant j'insiste un peu beaucoup éperdument sur la chanterelle j'extrais quelques pellicules minces et pâles       presque un coup sec à blanc sans blanc quasi amen
     nous abandonnons nos moutons mous nous lévitons et jamais ne cherchons lapostrophe dans les strophes de l'apôtre pleutre       nous troussons les jupes de la pudeur et léchons le cul des inhibitions      nous cachons nos sexes à l'endroit le plus sûr et faisons du pointillisme puisque
     tu m'électrobecniques je te caloriresse tu joues la fille de l'air je m'amuse à te chercher entre les feuilles d'une plaquette de powésie      de jeux en ris nous volons la toison du sommeil      nous nous faisons dixapparaître sous le lit puis nous jouons à la mourre et suçons des menthes giboyeuses       nous soumettons tirésias à la question cherchons les serpents pour qu'à nouveau les métamorphoses papillonnent       nous cognons nos squelettes quetik quetette et les revêtons de la chair dont nous faisons hors-d'œuvre        nous répétons l'enlèvement de sabine je te pincefesse sans rire tu pinsonnettes       nous faisons semblant de dormir et rêvons des rêves inavouables genre maman arabe qui chie sur la tête de son enfant de la balle et lui pisse dans la gueule
           si le soleil luit nous examinons nos anus ensoleillés s'il pleut nous enculons le mauvais temps troufignon mignon
     avant de manger nous dressons la table sur nos ventres gobons un orœil et l'exsécrétons dans l'orbite de l'autre bouffons un nombril ou deux comme entrées dévorons des aillébores des œupatoires des amandragores des myosotis et ô dessert des moli mollo puis nous faisons cuire des biftecks sur nos fesses mangeons sandwitches yoyogourd chococolait tutti fruits buvons du vin coupé de foutre pour mieux baiser en lacets        nous parlons pendant des heures ne retenons pas un mot de ce que nous disons ça ne revient que plus tard parole lumineuse qui nous atteint aveugle blesse émeut dépouille
je suis communarciste
tu es saouréaliste


Minimal Minibomme
Québec/Amérique, 1984

l'homme rentre + feuillette le numéro de janvier des têtes croches + trébuche sur une citation quoat quoat      J'ai perdu dix ans de ma vie en correspondance et litiges pour mon livre........., qui a été refusé par quarante éditeurs, trois fois composé et une fois brûlé. J'ai dépensé environ trois mille francs de frais d'affranchissement, taxes, billets de chemin de fer et de bateaux, car j'ai été en rapport avec cent journaux, sept avocats, trois sociétés, quarante éditeurs et plusieurs hommes de lettres à son sujet. Tous, à l'exception de Monsieur Ezra Pound, ont refusé de m'aider déquoate.
l'homme saute de joie + danse quelques démesures + s'assied dans la berceuse la découpure sur les genoux + la relit à intervalles réguliers jusqu'à la connaître par cœur + s'étend.
parce que les élèves ont tenu une journée d'étude l'administration veut nous couper une journée de salaire. pourquoi tu t'intéresses à ces problèmes dicomacadamiques. le syndicalisme c'est important. boff les proffs c'est une gangue de privilégiés bigne bagne peux pas ma tendre les prendre au sérieux torrieu. oui ta présence celle des couteux aussi. je t'aime je t'aime. tes yeux jardin baroque. ta langue exquiquise. bandante. tes mains en accord avec ta nuque. tu ne m'écoutes pas. sissi il est important d'approfondir la conne science syndicale des profs et professes ton enculédemari il est aussi canabistré que toi. non lui il va seulement aux assemblées importantes. un couple d'ostitututeurs y a-t-il quelque chose de plus stéréotypennuyeubourgeoidébandant. monsieur joue à l'anarchiste. ne me fais pas anarchier. à trois plus de vie dans ta petite virangée. les mêmes gestes depuis une éternuitée. la cérémonie du cul petigri le rite bandatif suçatorgasmologique. mon âme mon amour te rejoindre te frictionner le boutondor te pénétrer toute bèbizonée. tu es encore absent. je pensais à ton âme. je n'en ai pas d'âme moi je suis bien trop matérialiste. quand on a pâdamme on n'est pas monogamme on joue de plusieurs instruments. c'est un choix intellectuel que j'ai posé et puis je suis bien avec lui. les violons encore sur la noémargelle. je sais pourquoi je ne peux t'aimer. l'heurt de la vérité. il y a quelque chose en toi que je n'accepte pas et cela se manifeste par mon refus de ton corps. c'est coi ce kekchoz. l'envers de ce qui s'impose lorsqu'on tombe amoureux l'envie de dévoiler quelqu'un cette volonté d'oubli de soi d'anéantissement l'aspiration à échapper à la vacuité du temps. conti nue. c'est pas clair je veux dire que. belles abstractions tant pis. part d'inavouable. t'as de beaux seins ma lolo. on ne peut en parler quand on touche du doigt le pourquoi c'en est fini. tu veux que je te mette mon index dessus. nonnamour qui m'oblige à me poser des questions. amour aveugle c'est soi-même qu'on voit pas. repose sur rien. visée jeune couple heureux. amour désir d'innocence. beau et insignifiant. les enfants de l'amour réflexe sociobiologique. peux pas vivre sans la dissémination. la culture s'est chargée de régler les errances du corps. pas d'amour seulement des corps. je repousse ton corps. à ton tour d'être vachement distraite. il y a des moments comme ça où j'ai l'impression d'effleurer quelque vérité comme un souffle sur un château de cartes mais à peine les mots resserrent-ils les rangs elle n'est plus là. l'amour obéit à la loi de l'indétermination on ne peut pas à la fois en parler et en connaître la nature. es-tu staune. toujours il y a des mots qui me courent après. et main tenant en plus un corpuscule. ça multplie les atomots. les momots ne sont quand même pas des spermatozombis et la bouche une trompe de phallobe. il y a si peu de moyens de bourrer le vide les mots le corps une croyance quelconque. je ne te savais pas si pepsimiss. tu manquemens de vocabulaire la plupart du temps je mène une vie normale mon travail mes enfants. mon mari mais parfois tout à coup la conscience du vide m'assaille ma vie. ne repose sur rien des obligations édictées par des habitudes ancestrales je suis un robot. une robotte une robelle une robotticelli di vénérée im nu. bien huilé on me poussentraîne dans une vie insignifaloterne pareille à des milliards d'autres je cherche mavi. l'anguille dans la botte de fouin hein. quelque part il y a une vhi pour moi. madame botteurre flaille permettez-moi de vous présenter la vavite en couleurs. je dois filer mes marmots. mettre un peu d'ordre dans tes chimères. les idées claires ne correspondent pas à l'ordre des choses. tu es nébrûleuse. peut-être m'en fous le prix de la clarté est trop élevé. salut braise bien. ciao méfie-toi à quoi bon fuis-moi. je chasse des mots elle s'échappe. je mange des brides d'i et je gobe les dés. elle s'enfuit. nous bouffons baisons et oralons. laconons loquaçons et ratourons. jouissançons comme des vénédigues. j'ai mal j'ai mal pourquoi insoutenable. nous endormons dans les effluves de. le bon foutre cypriné le doux nectar qui dégouline de la vulve. de joie une fusée escalade le ciel et crève. une étoile blanche en tombe qui proclame la consommation de toutes choses et la seconde venue d'élie. nous réveillons dans l'odeur de. refaisons oh lala l'amour petite sueur matinale la suite bédure du cor de garde. pas envie de me crosser. de tes yeux ta langue ton cul. stèle je bande donc je suis seuleinsame. ton con mouillé berceau cricri voluté. l'homme s'endort une main dans sa toison. [...]

       ça sonne. l'homme ouvre. louise leroux voici merci. il déchire la grande enveloppe + tire la première page du manuscrit Chère Mademoiselle

       Il ne nous appartient pas de porter un jugement sur la valeur en soi de votre texte. De nombreux motifs nous ont surpris et fascinés. D'autres nous ont déroutés et décontenancés. La question est de savoir si nous croyons être en mesure de défendre une telle œuvre. Il ne nous a pas semblé possible de pouvoir répondre par l'affirmative. Nous vous remercions de la confiance que vous avez manifestée envers notre maison et nous vous assurons que vous nous obligeriez beaucoup en ayant l'amabilité de nous soumettre vos œuvres ultérieures.
l'homme saute de joie + danse quelques mesures + grimpe dans les rideaux. je les ai tous eus tous. tous je les ai eus tous. incroyable j'en étais sûr. l'homme écrit en vitesse une lettre
acquit d'adroit et de gaucho

       vous ave zut l'amadébilité de rejacter la pupille sur mon normanuscri le piège teuton et bavez informé dans une courte paille fourrée de lapolissades apollennisées de votre refusi. cet œuf beuve était la droiduction de treize novelles (erzählungen) ailamandes où je n'ai chiangé que les noms impropres de lieux et de personnantes. à tout ségneur tout tapirouge il n'y avait pas moins de huit niouvelles de hehrr mann esse (1877-1962) l'écristellaire le plus lutraduit actuellemand dans le mondentier: litelle biveurre (der zwerg) le traumatisme en rut (der rote traum) jyeux de chattaines (schattenspiel) flipper boude (buddha flippt aus) un maleur (der maler) l'arche de noée (der arsch des noah) les espaces flottants (flötentraum) et enfin un poète erre dans le val du manche (der dichter als waldmensch). j'y avais rouléjoint trois nouvailes de argono schmidt (1914-1979) prédikater de la lignée de lajoie cet allement: vaches miendoeillées (kühe in halbtrauer) quoeufs (schwänze) et une pipe pour socrate (piporakemes). j'avais complaidé mon manusanscrit indo-gernormaniaque avec deux nouvellées de deux auteurres rhénanannes binconnues outre-rhin: le piège teuton (die normannische attrape) de waldemarie trinkwitz (1948-) le détracteur de la trappe d'oka (schweizerischer käse) de christa fritzfick (1942-). je tiens à souligner de letteure de betteure la sûraté de jument dont vous avez à jeûn fait pieuvre et la magnanimiteuse arrongens capifestonnée dans les enragés encouragemensonges maladressés aux plumitifs cio mentineuronnés dans le miel et en pleine poire.


Jérémie ou Le bal des pupilles
Les Quinze éditeur, 1986

      Odile-Andréas piaffait: il était déjà midi vingt-quatre et il y avait si peu de monde. Peu à peu toutefois le fond de la salle des prof-e-s s'anima: Eva applique une bise sur la joue droite de Cléo puis colle une bisette sur la pommette gauche d'icelle et s'exclame qu'elle est resplendissante, Cléo donne une accolade aromatisée au cognac à Miriam et la complimente sur cette blouse qui lui sied à merveille, Miriam serre la main de Michelle et lui demande si ça va. Et ainsi la chaîne se poursuivra jusqu'à l'apparition tardive de Sabine qui avait été précédée par Cheryl Pierrette Magmiche Ghyslaine Danièle et Luce. Jérémie qui avait accueilli chacune des prosélytes par un hochement de tête était maintenant avachi dans un coin et comptait pains et poissons tout en dégustant sa bière et en faisant mine de parcourir un journal. Toutes prirent place autour d'Odile-Andréas à qui c'était à nouveau le tour ce jour-là d'entrer dans le vif de la sujette: femmes peintres et femmes peintes. Jérémie s'efforçait d'illustrer mentalement l'abécédaire pour certains des thèmes abordés lors des cénacles qu'il avait pu espionner absorbé dans un livre ou méditatif à force de contempler le plafond: les femmes et l'écriture, excision infibulations et autres mutilations dans l'Islam et ailleurs, les sorcières d'antan et d'aujourd'hui, la femme et le-les corps: spéculum orgasmes et autres médecines douces, la célibataire plus, pratiques et idéologies lesbiennes en Polynésie et à New York, actualité(s) archaïsme(s) et fraude(s) du freudisme, prostitution strip-tease travestisme et pornographie, les stéréotypes dans les manuels scolaires: pour une éducation sans images et sans pater(n)s, le sartrisme revu et corrigé par Simone de Beauvoir, l'hystérisation du corps fée-mi-nain, la scolastique et le sexe des anges: prémisses sexistes et penser mâle de la philo, Eva Dalila Martha et autres mythes bi... Odile-Andréas suggéra de démarrer sans plus tarder et toutes acquiescèrent. La devise d'Odile-Andréas pour qui apprécierait établir des rapprochements et paraphraser Baldwin en élargissant son propos semble de cet acabit: être femme et consciente sur cette planète signifie vivre dans un perpétuel état de révolte. Elle attaqua: pourquoi y a-t-elle de nombreuses créatrices qui furent épouses compagnes égéries d'artistes renommés et qui ne sont reconnues et estimées non pas pour et par elles-mêmes mais à travers le miroir déformant de leur relation avec l'illustre phare. Si la peinture est le plus mâle des arts serait-ce parce qu'elle est piégée par l'œil. L'image de la femme a-t-elle si peu évolué pendant toutes ces années où quelques-unes ébranlaient le langage séculaire employé pour la décrire. À quand une peinture pour les femmes, ne se trouve-t-elle qu'une Judy Chicago capable de... Odile-Andréas maîtrisait tellement bien son baratin que ses yeux jouissaient du loisir d'étudier le visage de la congrégation qu'elle voulait instruire: les nymphes idéalistes, les odalisques éclectiques, les jeunes filles au bain, les natures libérales plus ou moins opportunistes, les naïades en mal de baigneurs préraphaélites, les liseuses pragmatiques, les flâneuses glaneuses. Tout est lié: la photo la publicité la porno la télé la mode le vidéo le cinéma, tous les lieux du discours visuel. La peinture couronne ces arts supposément mineurs: s'il n'y a pas de tableaux typiquement féministes c'est que les femmes sont à la lettre maquillées. Il s'agissait pour Odile-Andréas des heures les plus fortunées lorsque de la sorte elle pouvait s'unir à ses soeurs et discuter de leurs préoccupations communes. Car comme pour beaucoup l'enseignement ne l'enchante pas outre mesure: les rares résonances qu'elle allume s'éteignent trop rapidement ou n'illuminent les esprits que bien plus tard. Elle ne s'avouait pas vaincue cependant et refusait de se laisser décontenancer par votre égarement ou votre agressivité face à son approche pédagogique: mettre à jour la corrélation entre les conditions d'existence de telle ou telle oeuvre et la situation des femmes. Odile-Andréas observait Michelle, elle cherche à rejoindre cette femme-là aussi, toutes elle veut les rallier à la cause. Elle est une figure bien connue du mouvement même si elle a peu publié: des textes qui ne sont pas à proprement parler d'avant-garde mais qui se distinguent par la violence qui les habite, des poèmes où le hurlement d'une fureur étouffée sombrerait dans le bafouillage s'il n'était affranchi circonscrit mis en stances, des récits arrachés aux griffes de l'indicible, des proses qui se meuvent à l'extrême pointe de l'articulable avant leur chute dans le silence. Frida Kahlo victime à la fin de son adolescence d'un grave accident portera tout au long de sa vie jusqu'à sa mort à l'âge de quarante-sept ans un corset métallique et absorbera de fortes doses de médicaments afin d'alléger la douleur dont l'écho déchirant zèbre toutes ses toiles. Son œuvre ne compte-elle pas autant que celle de son compagnon Diego Rivera. Odile-Andréas ne s'est jamais cantonnée dans une agitation purement esthétique: la bataille qu'elle mène est avant tout sociale et les textes qu'elle a soumis se veulent le témoignage de la lutte de toutes. Ainsi elle combat sur plusieurs fronts: partout où l'affirmation de la femme est en jeu. Elle est lectrice pour la collection Primelle et c'est elle en particulier qui est responsable de la qualité des ouvrages qui y sont parus. Elle siège sur le comité de rédaction de la revue de gauche Clitoriciel et les analyses qu'elle y donne des mouvements et déplacements culturels sont débattues dans le milieu. Elle fait de la critique à la pige à l'émission radiophonique Le sel littéraire même si la rumeur a couru que ce titre risquait d'être vidé de son contenu par la féminisation de son condiment. Elle acceptera à l'occasion un poste sur divers jurys chargés de l'attribution impartiale des réputés prix et bourses gouvernementaux. Être féministe signifie pour Odile-Andréas: marquer du sigle de sa différence, insister sur ce par quoi sa politique rompt avec le conformisme mâle. Toutes souscrivent à son action et plusieures ne tarissent pas d'éloges: l'homogénéité entre son credo théorique et son ars vivendi, son aptitude à rassembler des femmes de diverses tendances, son obstination sa cohérence sa largeur de vues. Certaines par ailleurs la trouvent trop radicale et iront même jusqu'à la désavouer: elle vit seule avec sa fille, elle fuit l'exclusivité amoureuse, elle repousse toute collaboration avec l'autre sexe. Odile-Andréas interrogeait ses guérillères: pourquoi Camille Claudel n'a-t-elle échappé à l'oubli que comme la maîtresse de Rodin ou la soeur de l'autre, pourquoi ses sculptures sont-elles passées sous silence mais non sa déraison. Imagine-t-on les conflits qu'ont dû surmonter Paula Modersohn-Becker et tant d'autres: Natalia Goncharova, Levina Teerling, Marguerite Gérard, Lavinia Fontana, Berthe Morisot, Sonia Delaunay, Gabriele Mün
       Michelle glissait distraitement sur les arabesques des phrases prononcées par Odile-Andréas: une femme si intelligente qui a tellement de vocabulaire. La première fois qu'elle avait entendu le mot occultée Michelle ne savait pas si elle devait le rattacher à occulte ou à électrocutée: maintenant elle préfère l'expression mise en veilleuse. La lampe de nuit médite au plus bas, elle vérifie s'il respire encore, elle presse sa main: il marmonne quelque chose d'inaudible. Elle soulève sa tête, devine son corps décharné, lui administre quelques gouttes de morphine. Il n'en a plus que pour quelques heures: gestes rodés stade final trépas. Jamais quelqu'un n'est venu le visiter si l'on excepte l'aumônier avec ses bons mots et son extrême-onction. Il mourra seul comme un vieux crocodile dans la vase, elle lui fermera les paupières après sa tournée. Michelle se laissait éclairer par les modulations en arrière-plan de la voix d'Odile-Andréas puis perdait le fil puis le retrouvait: conquête de l'intérieur de tous les lieux du pouvoir, femmes potiches écartées du courant de l'histoire potiche, discrimination positive. Ses parents vivaient serrés, Michelle n'avait pu poursuivre de longues études: elle aura le choix entre l'École normale et la clinique d'infirmières. Elle ne se sentait pas vraiment à l'aise auprès de ces intellectuelles qui abordent la condition des femmes comme un sujet de dissertation, elle ne se croyait pas inférieure non plus: simple question de background, elles n'empoignent pas la matière par le même bout. Michelle a adhéré au Groupe d'action local parce qu'elle voulait jaser avec des compagnes de problèmes qui la touchent quotidiennement et échapper à son isolement de mère de famille seule avec trois enfants: un féminisme d'instinct lancé en pleine face des machos. Elle avait rencontré Rosaire à l'hôpital: pas un médecin, non, électricien il effectuait des travaux de rénovation. Après son mariage elle continua à travailler à temps partiel et trouvera même l'énergie de suivre des cours du soir à l'université en nursing. La première fois qu'il la battit elle encaissa, la deuxième elle le mit à la porte: il n'est pas question qu'elle accepte d'être la proie de son sentiment de supériorité foqué. Michelle bien sûr approuve la lutte sur tous les fronts: elle a quarante-deux ans, elle vit dans un désert affectif, elle n'a pas besoin d'un homme mais de... En un éclair elle s'imagina Odile-Andréas avec une femme et se demanda ce qu'elle ressentirait: éclaterait-elle de rire ou resterait-elle figée comme une statue de sel. Elle s'était donc rapprochée d'un homme: toujours la même histoire, pas libre, un prof de la boîte. Et puis sa marmaille l'avait vite apeuré: l'époux vantard l'épouvantail. Michelle chassa ces pensées inopinées et s'astreignit à suivre l'exposé: bouclier des mots et stratégie contre la pupille mâle, approfondissement du regard afin d'arracher à la langue


Opération New-York
L'Hexagone, 1990

         À sa grande surprise, il voit que des putains se sont installées aux carrefours stratégiques, Ricky en conclut que là où il y a du cul il y a des pushers et qu'il encaisserait le magot s'il parvenait à mettre le grappin sur le marché de la coke dans ces hauts lieux de la finance. Car il est clair comme de l'eau de roche que les brasseurs de milliards ont besoin d'embrassades, ils doivent après le lunch se détendre les nerfs et ne peuvent prendre de décisions importantes qu'après un quicki agrémenté d'une ligne.
         Il marche dans l'allée centrale du Battery Park et se laisse guider par une toune de rock pur avec des accords de verre et d'acier en provenance d'une radiocassette aussi grosse qu'un cercueil. « Fric drogue et rock'n'roll », c'est là sa fleur à la boutonnière et son cri de ralliement, et il admire de toutes ses forces ce poète richard qui a dit tout haut sa façon de penser. Puis le reggae par vagues houlantes déballe sa rage, ressasse des griefs ancestraux à la face du soleil et sème en tapant de l'œil des langueurs aiguës sur le pavé qui tangue. Ses mots lancent un défi à l'ordre gringo et frappent si juste que Ricky en est comme assommé.
         Les arbres brandissent une frondaison de feu et les traits tordus il accueille les grondements du èvé métal qui ravivent en lui le tison de la révolte. Car la lamentation est le recours des lâches, les forts savent se débrouiller et apprennent vite à sucer le sang de la Cité. La bataille ne fait que commencer, maintenant Ricky sait ce qu'il veut, finies les combines dans les arrière-cours et la gloriole des casse-gueule dans l'arène des terrains vagues.
         Il aura la mainmise sur son quartier, à lui de jouer et d'établir les règles du jeu. Les pourparlers sont exclus, les gars qui ne marcheront pas droit seront éliminés, « No future » signifie que tous les couillons qui contrarient ses ambitions sont des chiens. La Sonnavajaune rôde, elle attend son heure, une seconde d'inattention et elle est là la mâchoire serrée. L'état de guerre est déclaré et Ricky n'a peur de rien, à chaque jour suffit sa tâche et elle se résume dorénavant à tuer ou à mourir. Il soupèse son jackknife et s'assied sur un banc.
         Il hume les relents d'eau croupie charriés par un vent chaud et surveille deux mouettes qui se disputent une bouchée de pain. Elles sont libres comme l'air les salopes, satisfaites de bouffer des détritus ou des poissons morts et heureuses de chier sur la tête des passants et sur les monuments. Leur manque de fierté l'écœure, Ricky crache sur les restes, tout est là à profusion et il suffit de se servir.
         Là-bas sur son île, en cure de régénération, la statue de la Liberté attire son attention. Elle est tout entourée d'échafaudages la pauvre, elle avait pris un sacré coup de vieux et on lui remonte le moral par un lifting. Ricky s'en détourne et rend hommage au World Trade Center, il est bien plus imposant que cette pompeuse ancêtre verdâtre et chante la liberté d'en encaisser des piles et de gravir les échelons du succès jusqu'au toit du monde.
         Il revient vers Wall Street, il est presque trois heures, les restaurants se refont une beauté et les clubs privés roupillent derrière leur lourde porte en bois découpée à même la coque du Mayflower. La Trinity Church est tout écrasée au milieu des gratte-ciel, depuis le crash la crasse d'un demi-siècle de spéculation la recouvre et, si Ricky un juge par l'état des pierres tombales, les squelettes dans le mini-cimetière d'à côté arborent une sale mine. Il crache par terre et observe pendant quelques secondes une plotte maniérée à la solde de la Bourse qui se cache derrière ses lunettes chic.
         Il monte tranquillement vers le Nord et passe à côté d'un vaste bâtiment en construction qui abritera les quartiers généraux de la Barclays Bank. Ricky bifurque vert l'Est et atteint le Bowery. Tout est sale et délabré, la faune minable des trottoirs lui est familière et il n'a rien à redouter. Mais le désespoir avachi de cette armée de cloches lui échauffe la bile, il ne veut pas végéter nu-pieds comme un débile et tomber dans un ruisseau de bouze.
         Il a payé cher pour apprendre que le grisbi appartient aux téméraires qui ont le cran de le rafler, sa part du gâteau il la veut avec beaucoup de crème et il se la coupera à coups de couteau. Ricky serre un poing et s'en frappe la paume, la mise est minime et l'enjeu énorme, dans cette partie à la vie à la mort c'est tout ou rien, les perdants pourrissent dans leurs taudis et les gagnants font des affaires en or. Il court vers le métro, achète un Miracle et rentre.

         La plus belle femme du monde exhibe fièrement une robe à paillettes profondément décolletée qu'elle soulève au-dessus de son slip tanga immaculé. Puis elle cambre le dos et caresse ses seins, elle flatte ses hanches et sa croupe, elle entrouve l'éphiphanie de ses nymphes et titille la perle onctueuse de son clito enchâssée dans un nid mousseux.
         De longs ongles lilas parent ses doigts fins, des dents étincelantes brillent à travers ses lèvres humides, des bouffées de volupté émanent du papier glacé. Ricky gobe les reliefs du désir qui roule mollement de sa nuque à sa queue et, en fermant les yeux pour mieux apprivoiser son ivresse, il retrouve les courbes de Liane tel un rêve de pierre s'infiltrant sous ses lombes. Sa présence est à ce point envahissante qu'il se tasse pour lui faire place à ses côtés, mais à Pacific Street aucune colombe ne daigne se poser.
         La plus belle femme du monde allume l'énorme chandelle noire fichée au milieu d'un gâteau de la taille d'un pneu. Des vulves de crémage rouge en forme de baisers aguichent Ricky, et le chiffre 1 placé en évidence sur tout le pourtour de la pièce montée révèle à tous les mortels qu'il est l'élu de son cœur tout sucre. Il schubertise comme un chameau errant la bosse à sec autour d'un mirage et grimpe jusqu'en haut d'une aurore boréale qui lui fait don de son royaume pour une chanson.
         Liane s'empresse de couper les rubans enjolivant l'emballage argenté d'une grande boîte. Elle y découvre un berceau tapissé de mousseline où gît un gros coussin en peluche, des entrailles duquel elle extrait un écrin capitonné de satin violet enfermant un dildo. La plus belle femme du monde affole le firmament d'un regard ravi et pousse un gémissement en reconnaissant la griffe de Tanagra sur une carte anniversaire intitulée Femme et oiseau au clair de lune.
         Seule la Reine de la nuit, tapie dans les encoignures de sa chambre, devine ses moindres caprices. Car Liane depuis plus d'un an partage avec elle ses soirées de solitude et la laisse veiller sur son sommeil pendant qu'elle goûte le fol amour auprès d'un homme bon et doux. Tanagra en met sa main au feu, sa figure est une toile de maître qui orne la page couverture des plus grands magazines de mode, l'être vraiment supérieur après lequel elle soupire la repérera et ensemble ils présideront aux noces de la lumière et de l'ombre.
         La plus belle femme du monde, en vidant une flûte de champagne, empoigne son présent par la base. Son visage transfiguré trahit un trouble incontrôlable ainsi qu'une sensualité des plus vives et, obnubilée par sa peau ivoirine et sa forme idoine, elle couvre l'augure de Tanagra de bécots mouillés. De par les cieux et les enfers rien n'existe plus, hormis Mathildo à qui elle veut s'abandonner comme la vigne à l'ouragan.
         Elle se cale dans un sofa de cuir parme et siffle une seconde coupe. Liane frémit en tapant un clin d'œil amoureux à Ricky, elle geint qu'elle pense à lui jour et nuit et qu'elle n'offre ses faveurs à Mathildo que faute de mieux, en attendant qu'un mec aussi bien monté que toi fasse fi de toute pudeur et me fourre jusqu'à l'extase. La plus belle femme du monde en délire écarte les cuisses, enduit son gode de salive et le glisse dans sa chatte.
         Cheval fou éperdu de nostalgie, il s'emballe dans un puits mouvant. Il jure en tapinois, il n'a plus envie de sauter des métisses au derrière rebondi et à la lippe boudeuse. Ricky se confond avec la chair diaphane de Liane, sa langue caméléonne se désaltère dans le ru de son fruit spongieux et il s'insinue dans les fibres arc-en-ciel de l'irréelle alitée. Il se sent comme un chêne assailli par une tempête de soie et il vend son âme à Bellezébou qui en retour lui communique l'adresse de la plus belle femme du monde.
         À cor et à cri elle est emportée par des gazelles tremblantes qui à travers sa brousse épinière déferlent et viennent étaler les couleurs de leur fourrure quelque part derrière ses paupières veloutées. Elle s'égare dans le parfum d'une rose alanguie de rosée et butine l'obscure profusion de sa corolle. Elle se fourvoie dans des images par delà les mots qui l'entraînent de l'autre côté d'elle-même là où le plaisir fait tanguer les marées.
         Elle tend les mains vers les étoiles de mer filantes qui l'effleurent et fuient en frissonnant haletantes. Elle palpe la texture soyeuse du silence et avive la blondeur du duvet qui en borde les ourlets. Elle enfourche des hippocampes langoureux et s'immerge dans une jungle de rayons orangés où des tourterelles en fleurs lissent leurs plumes. Elle coule au fond d'un étang aussi foisonnant qu'une chevelure en cavale dans la brume.
         Elle chevauche une lune qui émancipée de son orbite se liquéfie au fur et à mesure qu'elle sombre dans la splendeur de sa nuit. Elle se love sous les ailes d'un papillon qui fébrilement gagne le large, telle une pirogue volant volatile sur la crête de remous essoufflés. À l'orée de l'instant-lumière elle flotte en chute libre et s'accroche à la queue d'une comète qui plane au-dessus du paysage en dérive enroulé dans son ventre fait grotte.
         Comme le cerisier grisé à brûle-pourpoint par sa floraison embrase un verger, ainsi elle chavire et s'écrase contre un récif pourpre piqué d'une myriade de nénuphars nacrés. Lorsque la plus belle femme du monde émerge, un colibri voltige sur son épaule ennuagée et le cuir du divan colle à ses fesses moites. Désarmée par l'hostilité de l'univers, Liane porte la main à sa bouche et suçote son pouce.


Le noir et le blanc
XYZ éditeur, 1994

     plongé dans la panacée de mes brouillons je déclinai les quelques rôles (l'amant plaqué en or, le séducteur en ébullition, le bel esprit à l'humour décapant) qui auraient pu m'aider à donner le change à ma détresse et pendant tout l'été je me vautrai sur la paille entre les lignes: peintre du dimanche je conférai à Katia les traits d'une sainte icône hantant l'au-delà et je fis mon deuil de Liliane en épinglant ma douleur (une fièvre irradieuse évoluant en dents de scie) sur des feuilles volantes — oui je dégoulinais par tous les pores et mes pattes de mouches excitaient Isis qui me faisait la fête ou la tête
     je traînais mon boulet ou je rabotais ce poing fermé au creux de ma gorge que rien ne savait amadouer (cet essaim de couleuvres qu'une à une je piétinais en vain car elles se multipliaient à l'envi) — mes heures se résumaient à un labeur anxieux, d'autant plus que j'aspirais à enfin me prouver noir sur blanc (quitte à boire un bouillon au creux de la vague) que j'étais un écrivain pure laine de sorte que je me résignai à encaisser la hargne des sirènes et requins se gaussant de mes flaubertinages: à l'automne je verrais bien je pourrais aviser, tirer les marrons du feu ou me tirer mais d'ici là j'étais résolu à me débattre avec mon manuscrit comme dans un baril sans fond
     je pataugeais dans la vase du rejet et dès lors l'écriture ne pouvait prétendre à la conquête de cimes sentant bon les neiges éternelles: elle était tout simplement un plateau entouré de barbelés, une plate-bande sur les lisières de laquelle germaient quelques rares pousses de sens mais je m'acharnai tête de pioche (branché autant sur mes violons grincheux que sur la musique des sphères) — ainsi que d'autres numéros de mon genre j'avais commencé par explorer mon nombril et par barbouiller mes livres de jeunesse avec le pus de mes blessures, oui maintenant il me chantait de jeter de l'encre aux yeux (puisque créer c'est traduire et trahir) afin de dénicher d'autres couillons à mon image et vraisemblance
     cultivant mon côté bouddha je m'adonnais donc une fois de plus au jeu de la fiction non pas dans le but de renouer avec mon moi foncier (ou de déconstruire quoi que ce fût) que pour me fourvoyer dans le blanc de la page: ma Divine s'était évaporée et par dépit ou désœuvrement je campai deux pépées exhibant leurs courbes aoûtiennes dans l'œuvre en cours (les amants de l'imaginaire suçant plus fréquemment la pointe de leur stylo que les appas d'une pin-up plantureuse) — en endossant la défroque de l'écorché je touchai le roc de la prose et tâchai de ciseler mon cœur d'argile pour en faire une parole d'airain
     ayant chargé mon double (un vaillant tigre de papier aigri) de vider le calice à ma place et de payer les pots cassés j'enchaînai des sentences comme des perles ou des crocs sur le collier d'une disparue, oui puisque mes jours étaient dépourvus de consistance je me montai un bateau éléfantasque ressemblant à un matou courant la prétentaine — j'arpentai la Métropole matraque au poing (dans le sillage de satanées cupidames semant ici et là leurs pelures de banane) et en dévastant mes jardins je subodorai parfois quelque délire en instance d'éclosion: écrire est une maladie mentale ou une évasion bon marché et je ne pouvais me fier qu'aux rengaines des maringouins butinant le chaos et aux moustaches de ma sphinxe à poil roupillant sur le divan [...]
     la Bêtise s'affichait impunément (la margoulette décousue ou décolletée jusqu'au nombril) et je m'évertuais à en lacérer les masques chez autrui et en moi-même: diligente sournoise aberrante elle triomphait dans les journaux et à la radio tandis qu'à la télé elle radotait en plans américains bien coiffée froufroutante — j'en avais assez de me triturer les méninges parmi des farfadets et fadettes, de ramper la langue pendante entre les îles de la nuit, de m'obstiner à me faire une place sur le plancher des vaches mais ils étaient dépassés le temps des rabâchages ou le mal du siècle et sous peine d'être un fossile ambulant il faillait se mesurer à l'esprit du jour sur le déclin
     non seulement s'encensèrent-ils sans vergogne tout au long de cette émission (m'as-tu vu m'as-tu lu) mais ils poussèrent aussi la farce jusqu'à convoquer leurs inconditionnels claqueurs à la barre des témoins — ces trois éminences bagoutantes se lissaient les fanons au bord de l'extase et célébraient La luxuriance d'un imaginaire apte à relever les challenges de la création en cette fin de millénaire fertile en conquêtes et en catastrophes: oui les chantres de la parole se devaient de répondre en toute bonne foi aux attentes du lecteur (achète-moi et tu seras racheté) dans des romans à la fois accessibles et bien ficelés Car la mission de l'écrivain sur le qui-vive a toujours été de dénoncer les apparences et d'éclairer les hommes vautrés dans l'illusion
     ils osèrent même se toquer de Rimbaud (La puissance évocatrice de son verbe étayant la fulgurance de ses visions) puisqu'en lui était résumé Le destin impérial de tout poète digne de ce nom: ces mandarins et épigones boursouflés dont la jeunesse avait été embrasée par la révolte et ses vertiges (il était vraiment commode cet ange noir en allé après qu'il eût craché à la gueule des bien-pensants et tiré sa révérence à cloche-pied) croyaient pouvoir se disculper ou se grandir en léchant le cul du Génie — et émoustillés par les semonces du dandy qui orchestrait leurs échanges à coups de moulinet ils devisaient en amphigourrant sur La dissidence du désir à la source de l'émotion
     l'index dressé sous un regard de velours ils cacassèrent à l'unisson (oui ils avaient gardé une vive mémoire de leur enfance) et ils le tinrent à merveille leur rôle de Rois images: ces comédiens imbus de leurs bluettes postillonnaient à l'ombre du clocher de leur chapelle et ils polluaient le télécran afin d'écouler leur camelote à la pelle — je me défilai en exécrant les sortilèges transformant quiconque défiait l'objectif d'une caméra en prostituteur vendant sa police d'assurance et le lendemain je téléphonai au collège pour annuler mon cours sur la jalousie et la peau de chagrin [...]
     ayant béni en lui tordant le cou une bouteille de champagne JiJi s'apprêtait à prositer à ma prochaine parution lorsque la dive Nadia (plus en chair et en noces que jamais dans sa blouse volubile) me rejoignit sur le divan À quoi joues-tu quand tu t'amuses à déconstruire des châteaux de papier — piqué au vif je rétorquai Issu d'un milieu prolétaire à terre j'avais le choix entre le suicide, la dissidence en sourdine ou quelque métier à la petite semaine à rien, or l'écriture réconcilie toutes ces tendances d'un coup de plume: biffure du je, révolte en vase clos et broderie artisanale en forme de patchwork
    elle ne se laissa point emberlificoter et se farcit une olive en affirmant (d'un air subliminal avec des étincelles aux entournures) qu'on reparlerait des ruses de l'art lors d'une jam plus impie quand nous aurions été happés par les évanescences de la nuit — JiJi tonitrua Ciboire c'est un osti de bon verjus, ce à quoi Nadia répliqua que c'était bien peu ou quasi nada par rapport à ce qui nous attendait au digestif après la boue de la bouffe: je renchéris sur ces doctes conjectures en trompettant Tout écrivain flatte son narrateur dans le sens du poil et vice versa et leurs égorilles s'épouillent émoustillés
     JiJi m'incita à être plus radical encore: Laisse les proses émoussées aux autruches et auteurs rassis car il vaut mieux tabler sur le ludique et griffonner en jubilant jusqu'à ce que lumière s'ensuive, alors que les maîtres critiqueux pontifient et sophistiquent à la Zénon sans plus arriver au babebibobut — je célébrai sans vergogne (la gueule pleine de canapés) les vertus lénifiantes du signifiant puis je confessai du bout des lèvres qu'il sautait aux yeux qu'un mécréateur est un pauvre bougre réglant ses comptes avec un bouddhieu absent
     il prétendit même que les machineurs de mots occupés à défier leurs moulins à vent s'aiguisent à la longue la vue Un romancier est un preux chevalier qui à force d'affronter ses fantômes apprend à distinguer les causes d'envergure des farces qui finissent en queue de poisson — Nadia n'en démordit pas d'un pouce Un powète est un marmot obnubilé par ses bulles de savon: puis elle effectua une pirouette dûment onirique et nous conseilla (ainsi qu'une funambelle en instance de braver la gravité) d'y aller mollo si nous voulions en temps et lieu tendre une langue bien pendue


Le prince des ouaouarons
XYZ éditeur, 1997

     Le corps est un chasseur solitaire. Il va et vient capricieux et félin, papilles en effervescence et pupilles dilatées. J'ai fréquenté toutes les espèces de la gent masculine et chaque homo sapiens ou pas m'est apparu comme un sphinx digne d'intérêt. Auprès de chacun je me suis couché comme dans un champ de blé: je recherche l'outre-vie (c'est-à-dire l'âme même qui se manifeste parfois dans l'offrande musicale ou religieuse) — là jubile le jujube.
      Une bitte se déballe tel un instrument rebelle sur lequel forger de folles mélodies: des nocturnes servis à une sauce jazz, des symphonies fracassantes et fragiles, des boogie-woogies pétillants à pleine coupe. Dix hommes à la queue leu leu m'en font voir de toutes les couleurs — et lorsqu'un jouisseur en râlant m'asperge je déraille. Toute connaissance de soi (et des méandres de l'Autre) passe par la peau et il s'ignore le mâle qui n'en a pas épuisé toutes les révélations.
     Au milieu des gays je me suis effeuillé et partout j'ai été accueilli comme un prince: à bras ouverts ou la braguette aux aguets et chaque party virait à la partouze. J'ai coudoyé des sages aussi bien que des fous et avec tous j'ai partagé salive et foutre. Le sexe n'a pas de cœur et il n'en fait qu'à sa tête (tel un allegro dans les buissons ardents) — j'ai baisé tout mon saoul et aussitôt cette mauvaise passe surmontée je reviendrai à mes boucs.
     Car les mecs ne se racontent pas d'histoires: ils abhorrent la harpe et la lyre, ils prennent l'amour à la légère et courent droit au but. Le plaisir se suffit à lui-même et je n'ai jamais senti le besoin de me cacher derrière l'écran des mots doux (ce subterfuge des bluffeurs et des fleurs bleues) — j'ai le feu au cul et je ne fais pas de distinction entre désir et délire.

     Ma vie tourne autour du sexe et il y a belle lurette que je me suis égaré dans ses dédales. J'ai des mains d'artiste, une blonde crinière, des fesses prodigues et de grands yeux d'un bleu délavé — si bien que les infirmières (mignonnes ou cochonnes) ont jeté sur moi leur dévolu. Je ne suis qu'un enfant du siècle qui s'est laissé guider par l'aveuglement des sens: j'ai joué et joui en compagnie de radieux gaillards qui ne demandaient que ça et rien d'autre.
     Eux seuls m'ont appris à vivre. Car de mémoire d'homme d'aucuns quand ils me repèrent grimpent dans les rideaux et certains bandent (par-dessus tout) vers les cimes. Je me tape tous les gays de bonne volonté et à force de semer éperdument mon foutre à tous les vents j'ai récolté quelques maladies vénériennes — et une moisson de souvenirs qui me nourriront (à la folie) jusqu'à la guérison.
     Je m'emmerde ici (comprimés et étourdissements ponctuant les jours qui défilent comme le rouleau d'un piano mécanique) et j'ai prié Gabriel-Pierre de me procurer un dictaphone. Le temps me pèse moins lorsque je monologue et j'ai vite découvert qu'il est amusant de troubler le silence: il suffit d'appuyer sur un bouton pour me délier la langue — je veux donc profiter de ce repos forcé pour me remplumer en ratissant mes jardins et mes plates-bandes.
     (Hier au soir elle m'a semblé plutôt transie cette voix en provenance de l'éther: il n'osait ni entrer dans la danse ni couper court ce mignon, mais il a fini par prêter une oreille et une couille attentives à mes suggestions toutes crues. Puis il m'a balancé à la figure une bordée d'envolées obscènes — j'ai giclé comme dans un rêve humide, tandis qu'à l'autre bout du fil je l'entendais se lamenter et exulter à coups de trémolos bien roulés.)

     Je viens de croiser Francesco (au rond-point de l'imaginaire et des mots) en furie au milieu d'une foule agitée qu'il fend à coups de coude avant de se dresser sur ses ergots devant un rond-de-cuir ébahi. Une grande vague de chaleur me submerge et ça rigole si fort en moi que j'en ai des larmes aux yeux — qui possède de tels souvenirs n'a pas vécu en vain et par ici la cornemuse et le biniou.
     L'été tirant à sa fin (je l'avais rencontré au ciné-club de la Cité-U) l'envie nous est venue de folâtrer tels des lézards au soleil: pouce au vent nous avons été pris par un routier qui dès le premier restosnack nous a offert cent francs pour triumvirer à toute vapeur et cinquante afin de nous observer en pleine action. À la revoyure mon pote et voici qu'un prolo en cavale nous emmène droit vers Grenoble — mais tiraillé soudain par les nanas de Saint-Trop' il rate la voie de sortie et nous suggère (gesticulant et jactant de jazz avec une voix de clarinette bechetée) de foncer vers la Côte fleurie de promesses en or.
     Nous pionçons à l'auberge d'une petite ville quelque part en montagne et repartons de bon matin frais et dispos. Les Alpes franchies il a crevé dans une odeur de big-bang: si bien que nous avons capoté au ralenti dans le fossé tels des amoureux dans le foin. Nous rampons rapido hors de sa coccinelle, abasourdis par ce joyeux drille en mesure de citer le reproche adressé à Hegel par Marx — ajoutant même que puisque Django a su jouer de la guitare (et comment) avec deux doigts raides, il saura bien se satisfaire d'une bagnole carabossée.
     Un prof collet monté nous a déposés à Nice où nous nous sommes accordé un remontant à une terrasse du port. Nous dégustions notre pastis avec le flegme bovin des connaisseurs lorsqu'un Allemand drôlement paf (attendri peut-être par nos mines jumelles) nous a demandé de le conduire à Rome. Nous n'en étions pas à une balade près — et à peine Francesco avait-il embrayé que notre chauve Boche ronflait déjà du sommeil des ivres sur la banquette arrière.
     À Pise il nous a royalement traités et (après avoir vidé plusieurs bouteilles) nous avons dormi dans une somptueuse pension belle époque. Le lendemain il est resté sobre jusqu'au début de l'après-midi: quand soudain la description détaillée des atouts et mensurations de sa cocotte l'a mis dans tous ses états de grâce. De sorte que nous l'avons livré à l'hôtel Trevi rond de pied en cap, au grand désarroi d'une plantureuse pépée au parfum — d'où j'en conclus que les grosses gommes se prennent pour des surhommes quand ils dorlotent une pute de luxe dans la Ville éternelle de leur désir.
     Adieu macadam ménagères managers bien couvés: nous transportons nos cliques claques à la gare et sautons dans le premier train en partance pour Brindisi. Nous nous pointons au port en début de soirée et sous une grosse lune éclairant le branle-bas de l'embarquement la queue grouillante de têtes hirsutes se met bientôt à progresser limace (dans une cacophonie perlée de rires et avec force fiasques de gros rouge faisant la ronde) — nous allions accéder à la passerelle lorsque le Bouddha galonné qui en barrait l'accès nous a refoulés en barrissant qu'on ne pouvait passer outre au visa de sortie en forme de sceau.
     Nous nous précipitons vers le bureau douanier où sue une fournée de touristes couinant comme des babouins — après quelques minutes Francesco a explosé et si bien joué la comédie de l'hystérie que tous les carabinieri soutenus par un régiment de zouaves n'auraient pu le contenir. Un tampon a réglé nos problèmes ainsi que nos papiers et (en attendant de nous gorger d'amour sous le ciel de Corfou) nous avons déniché un coin sur le pont où nous faire des papouilles: décidément mes coqueluches n'ont pas d'âge et la mémoire est aussi une affaire de peau.

     Souvent un saltimbanque (flash en provenance d'une ville anéantie, énigme enfouie dans la cendre avant que le phénix ne se fasse fétiche) jaillit derrière mes paupières. Un nom clignote dans la nuit (Ricky Sven Thierry) ils surgissent des nues mes revenants et puis s'en vont. Salut Tony: King-Créole tout irradiant, diamant brut rutilant à cœur de journée, ange noir absorbant toute la lumière — mais où balances-tu en cet instant tes épaules enveloppées dans un tee-shirt éblouissant.
     Empalé sur mon poing tu te défonces en geignant telle une statue en transe et longtemps je te garde en équilibre sur la pointe de mon regard avant de boire tes jus qui sourdent comme du fond d'un puits. Je caresse ton visage transfiguré et lorsque tu reprends tes sens tu as la mine détachée d'un gourou. Puis tu me bécotes (en consultant ta montre Rolex) et te rhabilles en moins de deux — tu as un meeting à trois heures: une fusion entre géants, un holding japonais accaparant une multi américaine.
     Qu'il porte un costume ou un jeans serré Tony attrape par la queue les faveurs du moment (et considère son job comme un hobby) — il se meut avec la même élégance désinvolte dans un club sélect du quartier financier et dans un bar gay, il lit les tableaux comparatifs du Wall Street Journal avec autant de facilité que les signaux de la drague, il connaît dans chaque capitale les milieux de la Bourse et les hôtels de garçons. Ses semaines filent au rythme des coucheries et des briefings: il a une vie bien déréglée sans aucun temps mort.
     Il galope à bride abattue à travers les prairies bitumées de la Pomme — il brasse des millions comme s'il s'agissait d'une partie de fesses et il m'encule comme si j'étais un coffre-fort. Toujours quelque chose l'attend (une réunion importante ou un mec bandant, une entreprise dans laquelle s'aventurer à corps perdu) et il gère le quotidien en trouvant partout son profit: son compte en banque se gonfle de concert avec le foutre éparpillé aux quatre coins de la Cité.
     Dans un lit dévasté (aussi bien que dans une réunion d'affaires) Tony sait demeurer aussi naturel qu'un bambin obnubilé par l'avion miniature qu'il construit. Tout n'est que jeu ou performance et dans le feu de la compétition les plus futés triomphent: il faut aller au bout de soi, la manne tombe et il s'investit dans la jouissance.


Titre à suivre
XYZ éditeur, 1998

     Depuis une décennie je me branle les méninges sur des broutilles et mes outrances dans ce qu'on appelle à grands frais de langue fourchue la communication (la pub pure et dure) m'ont transformé la matière grise en bouillie pour les chats. La santé, c'est l'état de grâce caduque qui fait oublier qu'on est depuis notre naissance en péril — je la recouvrerai après une délicate opération ou je serai écrabouillé sous les bottes du néant. Entre le oui et le non je balance, n'est-ce pas là un défi pascalien remâché à la moderne: ou je parie sur un peu de bon temps à venir, ou je m'annule sans trop rechigner.
     Pour déjouer les ruses du malin et se purifier, les âmes tourmentées se retiraient jadis dans le désert ou dans un monastère — moi j'ai rebondi ici de toute urgence (il y a des hôpitaux fourmillant de chirurgiens et ce n'est pas pour les chiens) mais il y a dans cette enceinte trop de rumeurs, trop de remugles, trop de haut-parleurs. Plutôt que d'être un lieu de recueillement, la clinique est devenue une salle d'attente, un carrefour où des stigmatisés se putréfient à petit feu. Roseau pensant mué en animal blessé, je m'incline devant le verdict d'une sommité: mon édifice infesté de termites menace ruine et avec cette rame de papier je m'édifierai un abri.
     Affaibli ou divaguant un malade se délivre de sa coque humaine: ses espoirs compassés et ses instincts en éveil le rapprochent de l'ange ou de la bête. Sans être rebelle à tout crin je n'ai jamais été docile et je ne peux faire miens les pronostics d'une blême éminence fière de son revenu et de ses titres encadrés. Qu'il soit un magicien aux doigts de fée ou un boucher plantant ses crocs dans mon cuir chevelu, je ne suis quand même pas désemparé au point de m'en remettre aveuglément à lui — mes doutes le scient et il se retranche derrière le paravent de la science.
     Bon an mal an j'ai fignolé des slogans susceptibles d'embobiner autant le plus subtil que le plus cornichon des citoyens. Quand je ressasse mes trouvailles, je rougis (On est le cœur du pays, il faut nous battre) — deux cents ans de lutte pour réduire un projet social à un match sportif. Bien sûr j'ai lancé la serviette et cédé aux ordres du Commanditaire à qui j'avais d'abord suggéré On est six millions, c'est à notre tour de rugir. Ce calembour avait du mordant, mais le Parti réclamait un cri de ralliement apte à faire vibrer la voix souveraine des urnes: la pub, c'est le triomphe de la complaisance, c'est le miroir aux alouettes dans lequel se reflètent les croyance et les élans d'une nation s'accrochant à ses lieux communs.
     S'il veut accoucher de formules affriolantes, un texteur à gages doit forcément miser sur les vices et lacunes de la langue. Toutes les énormités que j'ai débitées se sont cristallisées et agglutinées entre mes deux oreilles: là elles forment une prunelle qui a dégénéré en foyer contagieux. J'ai ânonné trop de platitudes et j'encaisse une leçon faite chair — cette tumeur, c'est la révolte du corps contre le mensonge incrusté dans mes neurones, c'est un amas de cellules proliférant grâce à la transmission d'instructions falsifiées, c'est le pendant des contre-vérités que j'ai vendues à mes congénères.
     Les pionniers de la pub (éclairés par les règles de l'apprentissage chez les souris) avaient pigé que l'acheteur n'est qu'un caniche friand de susucre et que n'importe quel stimulus peut à la longue provoquer un réflexe de jouissance. À tout bout de champ les bienfaits du shopping sont exaltés et martelés à coups d'annonces idylliques — mais un clip isolé ne signifie rien en soi et il n'a d'autre message que ce déferlement même qui engendre le mirage d'un bonheur proportionnel au nombre de massages subis. Auto coca loto, onguents mirifiques et céréales vitaminées, salamis macaronis tutti frutti: pétillante ou insipide l'image enjôle et chaque produit n'est qu'une pièce du casse-tête représentant un eldorado où le miel coule à flots.
     Le non-sens, je m'y étais fait et je me gargarise de phrases pour m'exorciser: le jour où mémère s'est mise à chicaner la commisération du Bondieu, elle a serré le poing sur son rosaire en buis et ses maux ont redoublé. Je ne gaspillerai pas une goutte de mon fiel et je m'en veux d'avoir collé quelques termes débiles sur des panneaux monstres (Am stram miam et j'en remange) — ces balbutiements vantaient les mérites d'une purée pour bébés qui sur les brisées d'Obélix grandiront en beauté et en humour car leurs couches sont si satinées qu'Œdipe ne leur tord pas encore les tripes. [...]

     Le grand Boss a fondé sa boîte dans les années soixante et il a employé tous les moyens pour assouvir son ambition d'être le numéro un incontesté de l'illusion. Bête de travail sous le joug d'un ego cruel et démesuré, il a très tôt compris que la pub ne fait pas seulement partie intégrante des médias — il a contribué à imposer la notion selon laquelle elle en est l'armature (sinon le but et l'achèvement) et en son for intérieur il est persuadé qu'elle est la plus haute expression culturelle de l'époque. Il épie ses rivaux et les copie, il entretient des relations auprès de divers lobbies et il ne se met jamais quelqu'un d'influent à dos: partout il a des connivences et les contrats juteux se concluent après un barrage d'appels tous azimuts.
     L'autre clé de sa réussite réside dans sa faculté à ne glaner que les seuls rudiments pertinents à la bonne marche de sa société. Attentives aux comportements manifestant les caprices et les manies du jour, ses productions innovent et étonnent tout en ne brusquant pas: un clip garde la cote pendant six mois et deux ans plus tard il est déjà périmé. Il lâche cependant la bride à ses collaborateurs (qu'il appelle avec une grimace de dédain ou de rancœur ses pions et champions) car une carrière se construit en respectant les normes en vogue et les plus futés des créatifs assimilent vite ce code — les artistes agacés par ses méthodes tournent les talons sans demander leur compte et les moins farauds renoncent à leur talent au profit du commerce.
     Esprit borné et chatoyant, il étoffe sa conversation grâce à ses visites éclair dans les expositions et il n'hésite pas à émailler la trivialité de ses vues avec des citations sélectionnées dans des digests. Expert dans l'art du conditionnement, il attise un climat d'émulation en louangeant et rabrouant son entourage — il suffit de faire miroiter une majoration de salaire ou des responsabilités accrues pour qu'un subalterne soudain qualifié d'indispensable en induise qu'un brillant avenir lui est réservé, pourvu qu'il néglige ses intérêts personnels et s'engage plus à fond. Ce Potentat-affable-et-ratoureur n'a pas non plus manqué de subodorer les bénéfices que lui procureraient les jeunes louves avides de rattraper le plus vite possible les années perdues: dominées par l'appât de gain elles courbent l'échine et en plus elles doivent trimer plus dur que leurs homologues masculins.
     Le mannequin prisant les serviettes hygiéniques Gigi jouait sur tous les registres de l'innocence et de la lubricité propres aux porno stars les plus gonflées. Sa moue dessinait un orifice évocateur et ses renflements d'angelle dépravée promettaient à la meute des seigneurs-aux-poches-pleines-et-aux-tempes-dégarnies les outrages les plus impudiques. L'un des obsédés de l'équipe l'a caricaturée bâillonnée avec la bandelette ouatée qu'elle s'évertuait à promouvoir — hanté par son look il rêvait de la ramoner avec la matraque chromée de Lucifer convertie en gode. Dans une bulle il avait crayonné Je suis au coton et tu verras rouge dès que tu m'auras prêté un petit coin d'édredon et lorsque Mona a été éventrée par ce tueur qui semait le terreur de par la ville, les ventes ont continué de grimper: le consommateur est fasciné par les figures poupines badigeonnées de foutre et de sang.
     Je rédige ces fragments afin de tracer une ligne de démarcation et de prendre mes distances dare-dare. Je n'ai rien atteint et si je retrouve mon assiette je n'irai pas par quatre chemins: je repartirai de zéro ou je me supprimerai en douce. L'aveuglement et le bon sens (ces deux faces du même gros billet) sont les attitudes les plus répandues mais je suis bien résolu à brûler le madrier dans mon œil avant de m'éteindre dans de beaux draps — j'étais un faux jeton qui se prostituait en retour d'une pluie de deniers et il ne me reste plus que mes actes de contrition et mes coups de gueule.
     Mes tics de gratte-papier provoquent le psy et il aimerait bien s'immiscer dans la chambre noire de mon délire. Il a une bouille de brave type tout fiérot de sonder les profondeurs de l'Homme et ses bonnes dispositions m'épatent: il remplit des fiches et croit ainsi pouvoir déchiffrer les énigmes d'une existence. La mienne relève plutôt du quiproquo et de la routine — gagner sa croûte, c'est s'enliser dans la médiocrité (Tu meurs et tu as vécu dans l'imposture, radote la mascotte à genoux les yeux débandés sur le socle de ma lucidité) et tous les alibis sont bons pour me disculper.
     Bécotée par son tchomme une groupie un brin opulente déniche soudain un cheveu cuivré sur sa manche et éclate en pleurs, puis elle se précipite à la cuisine, enlace le frigo et y pêche un yaourt minceur qu'elle lape transie. Lascivement elle ébouriffe sa crinière de jais et enfile un pull écarlate: va-t-elle s'afficher dans un club et chialer sur l'épaule d'un pilier de bar un tantinet macho ou sonnera-t-elle à la porte d'une copine aux formes éblouissantes qui éventera les secrets d'une diète équilibrée. À moins qu'elle ne roule toute la nuit dans un puissant bolide et qu'on ne la découvre au petit matin égorgée par ce maniaque au couteau cou coupant — madame Lamarre est tout œil car demain elle fera ses courses et il se peut que le boulanger la complimente sur sa nouvelle coiffure ou sur son régime amaigrissant.
     Hier un en ex-copain ès joints élucubrait à la télé en costume clair et nœud papillon: dans ce procès à huis clos je ne crains pas de me noircir et pourquoi donc n'a-t-il pas honte de lui. Il potinait sur ses choix spirituels et faute de lui faire ravaler ses menteries je me suis tordu sur le plancher. Il est terminé le temps du muguet (monsieur le Ministre était naguère obnubilé par Leila qui elle ne mouillait que pour les manèges lesbiens) et je m'empresse d'en humer l'arôme une dernière fois. J'étais un pantin détraqué pris dans les rets de ma fatuité et j'appelais ça me réaliser — d'aveux en blasphèmes j'essaie de m'absoudre en versant du poivre sur la plaie.
     Quant à cette lessive en poudre dans son emballage cobalt, elle a su conquérir le marché porté par la fadaise Le Bleu fait la job (laquelle en passant de bouche à oreille s'est comme je l'avais prévu biodégradée en Bleu job) — j'ai aussi dénigré la concurrence incarnée par une athlète médaillée d'or qui en cotillon et tee-shirt moulant faisait mousser sa camelote imprégnée de lavande ou de je ne sais trop quel bouquet musqué. J'ai lancé dans la nature un réputé travesti dont la doublure dévalait une piste de ski balisée par des cordes à linge où pendaient des slips et des bustiers immaculés. Puis Lila était aperçue de profil alors qu'elle s'apprêtait à plonger dans une piscine à ciel ouvert: et l'on pouvait enfin soupçonner le galbe d'un sein à travers le voile de vapeur l'enveloppant tel un linceul.
     Les biens portants ont une multitude de déités à lutiner et ils n'accordent leurs faveurs qu'aux plus offrants assez astucieux pour les mystifier. À la fois fêtard et prophète je propageais la bonne parole par le biais de sornettes qui sonnent bien (En Pontiac je suis toujours d'attaque et au diable toutes ces belles japonaises, je ne veux pas rentrer en pousse-pousse comme un grand niaiseux) — mes lunettes chic soulignait ma fonction de faux-monnayeur de choc et grassement payé pour intoxiquer ma génération je célébrais les tendances et trends en train de s'implanter.