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Tout l'univers de Marc Gendron est résumé dans cette boutade : « Et le verbe fuit » (Opération New York) « Habiter un corps (grandir jouir souffrir mourir) signifie: être en manque avant de disparaître. » (Le prince des ouaouarons) En effet, à peine a-t-il vu le jour que « l'anthropeau » cède à la nostalgie du confort sibyllin de la matrice originelle. Tout le reste n'est que littérature, c'est-à-dire recherche de soi à temps perdu ou fugue dans le sens où l'entendait Rousseau.

Tous les écrivains contemporains sont redevables aux mouvements littéraires et grands auteurs qui les ont marqués, chacun tisse sa toile dans un vaste réseau d'influences qui s'étend sur plus de deux mille ans et auquel aucun « mammifère à plume » n'échappe. Jules Renard avouait « Mes façons de penser je les emprunte volontiers : je ne tiens qu'à mes façons de sentir » — pour faire miroiter toutes les facettes de la conscience, le style de Marc Gendron se doit donc d'être d'un éclectisme consommé. Grâce à une alchimie du verbe originale profondément ancrée dans la culture occidentale, il ne se prive pas de mélanger idées et styles. Son côté ensoleillé et son versant ténébreux se fondent dans un imaginaire proliférant d'où découle une nouvelle dimension de la réalité : « Le créateur : celui qui a conquis le privilège de la vision. Il voit autrement, il discerne autre chose, il perçoit l'invisible. » (Louise ou La nouvelle Julie)

Victor Hugo disait que « Les vrais grands écrivains sont ceux dont la pensée occupe tous les recoins de leur style. » Marc Gendron est-il le Cioran du Québec ... revu et corrigé à la manière d'un Michaux ou d'un Burroughs mais en plus drôle et zen ? Il se jette dans un remous d'idées puis nous entraîne à contre-courant dans un torrent d'interrogations, provocations et méditations: « À l'ère de la docimologie la boucle est bouclée : Platon vous approchait comme de beaux corps spirituels avec lesquels il faut tisser des liens, la pédagogie moderne vous traite comme des corps-machines informatisables, votre savoir ne vaut qu'en tant qu'il est mesurable et quantifiable. » « La pure raison est plus sanguinaire que la déraison car celle-ci est un fouillis bon enfant alors que celle-là tend au tranchant. » (Jérémie ou Le bal des pupilles) « Celui qui vit dans l'imaginaire partage plusieurs vies. Une seule lui échappe : la sienne. » « Moins on parle plus on se sent insignifiant. Le silence confronte l'être à sa nullité. » « La bouche de l'existence, c'est la naissance, son anus la mort. Entre les deux, il s'agit de bien digérer. » « Nous sommes des minables pris dans l'engrenage et aucun de nous n'a jamais vu la roue. » « La pensée : habitude physiologique d'un être dressé. » (Louise ou La nouvelle Julie) « Je cherche un fil conducteur mais en fin de compte vivre se résume à peu de chose — tout un chacun essaie de sauver sa peau et soigne sa maladie d'exister. » (Le prince des ouaouarons) Portée par un souffle d'universalité, la substance du discours de Marc Gendron consiste à dépouiller l'homme et à le racheter par le verbe.

Pierre philosophale de son style, le questionnement et le doute sont partout aux aguets afin de pulvériser tous les discours (les idées reçues les conventions les règles et normes bétonnantes): « Les conformistes prisent les idées claires et distinctes (je pense comme tout le monde, donc je suis) — ainsi des soupirants et des flâneurs pour qui le plaisir n'est qu'un répit pépère ou une pause publicitaire au milieu des affres de la réflexion. » (Le prince des ouaouarons) « J'avais beau prétendre que toutes les positions s'équivalent (me gaspiller en folies olympiennes, découvrir les joies d'un hobby, m'épancher auprès d'une pute sublime ou nirvaner en faisant fi des valeurs) ce n'étaient que paroles en l'air car grâce à l'écriture j'avais échangé mes poses contre une posture et développé une tic-tactique me permettant d'encaisser les à-coups d'une époque déchirée entre les néons et le néant. » (Le noir et le blanc)

Ses interrogations et réflexions sur l'écriture sont intégralement liées à la trame de chacun de ses romans et de ce point de vue s'inscrivent dans le sillage de Gide : « La poésie est la mathématique du langage et de l'existence, le roman en est la physique. » (Minimal Minibomme) « Écrire, c'est la manière la plus ostentatoire de garder silence — c'est caresser l'espoir qu'un chapelet de mots puisse déboucher sur une parole vraie et ne se résume pas à un mode d'emploi ou à un collage de notices et de tuyaux. » (Titre à suivre) « Je préfère l'arme de la salive aux larmes. Je me débrouille tout seul dans les remous et ressacs de l'art — l'écriture est un remue-méninges dans un verre d'eau et tout bonnement j'écope. » « Écrire c'est défier la durée et se perdre dans un lacis de tranchées en cafouillant. » (Le prince des ouaouarons) «Tous les livres forment un grand texte inachevable formé dans le matériau de toutes les paroles possibles; ils visent une totalité dont chaque oeuvre particulière représente un infime fragment. » (Louise ou La nouvelle Julie) « Par l'écriture il se mue en apprenti sorcier se bricolant un autre moi avec les débris d'un puzzle auquel il manque des pièces » « Un romancier est un preux chevalier qui à force d'affronter ses fantômes apprend à distinguer les causes d'envergure des farces qui finissent en queue de poisson. » (Le noir et le blanc) Marc Gendron n'a pas la prétention de changer le monde, mais il est un témoin lucide qui nous aide à mieux le comprendre (pour s'en déprendre) à travers une écriture éblouissante et déroutante.

Ses romans, qui rendent souvent hommage à Rabelais, Joyce et Arno Schmidt, sont truffés de mots-valises lourds de sens et de néologismes hilarants ou tragiques : « Les sentences bien alignées gommant la discontinuité et les œuvres insignes réservées aux happy fous (sans mentionner les bêtes-selleures faits sur mesure pour les consommateurs pervertis) m'apparurent à la longue une tentative désespérée d'instaurer un ordre fictif dans le chaos. » (Le noir et le blanc) « La porno est une disnélande sexulaïcisée et tautolologisante. » (Minimal Minibomme) « ANGÈLE : Réglons donc le point trois. Y a-t-il des questions, objections, éclaircissements, errata et autres bébittes secréterriennes ? MOISE: De l'éthique à l'attaque... BARTHÉLÉMY : C'est quoi ta matière forte, Solange ? SIGISMOND : La libidorémifasollasie. » (Jérémie ou Le bal des pupilles) Les phrases de Marc Gendron nous emportent tantôt sur des eaux pensives, tantôt dans un tourbillon où il n'y a plus de rives pour s'accrocher. « Quand la langue cesse de faire du chichi l'attention se porte du côté du dedans là où l'énergie rit. » (Jérémie ou Le bal des pupilles)

Son écriture n'est pas sans parfois rappeler celle de Gombrowicz: « Comment mieux comprendre la distinction entre substance étendue et substance pensante qu'en comparant le sperme éjaculé à la conscience du plaisir? » (Louise ou La nouvelle Julie) « Toute connaissance de soi (et des méandres de l'Autre) passe par la peau et il s'ignore le mâle qui n'en a pas épuisé toutes les révélations. » « Le sexe n'a pas de cœur et il n'en fait qu'à sa tête. » « Le plaisir est rond comme la lune et en bout de course il se fait étoile filante. » « On ne peut rien pour autrui sinon l'arracher au quotidien (je suis, donc tu bandes) » (Le prince des ouaouarons). « La bouche l'anus la vagin forment une pornotrinité, le phallus l'hypostasie. » « come unique/comme nique : anna tommy cum parée. » « L'érotisme ou le solipsisme partagé. » « La porno apprend l'humilité, une nana qui se fait enfiler par un berger allemand, un bon vieux incroyablement équipé qui monte sa truie, une plotte qui crosse un étalon et en boit le foutre, ça remet l'anthropeau à sa place dans la nature. » « Ce n'est pas l'existence de la porno qui est scandaleuse mais la reconnaissance et l'acceptation générales de la mécanisation des rapports sociaux. » (Minimal Minibomme). L'oeuvre de Marc Gendron regorge de divertimentos érotiques débités dans une langue frémissante et fureteuse qui ferait rougir les baveux et bas-bleus pissant de la copie. Entres autres, les deux principales protagonistes de « Louise ou la nouvelle Julie » ont englouti les « fanthommes » dans les limbes afin de mieux s'adonner à leurs jeux saphiques tandis que le narrateur du « Prince des ouaouarons » est un homosexuel au nom bien « gaybécois » de Gaétan Tougas!

L'œuvre de Marc Gendron renferme tout l'univers dans un vaste concerto appassionato d'une virtuosité d'écriture surprenante: « Tu es un animalaya qui crèvera au sommet de ton érêvereste » (Jérémie ou Le bal des pupilles) « Les poussières cosmiques de la mémoire s'émeuvent tant il est vrai que le monde n'a pas d'âge et que l'instant est éternel et provisoire. » « D'autres galaxies s'allument avec les cendres de notre semence. » (Les espaces glissants) Et surtout elle est traversée de fond en comble par un contrepoint foudroyant sur les dissonances du monde, les dérives les plus inavouables de l'esprit: «Quarante millions d'hommes et de femmes sacrifié-e-s à la rationalité nazie, quarante autre millions décapité-e-s par la faux et le marteau, vingt millions de Chinois-es égorgé-e-s pour faire la publicité d'un petit livre rouge : l'homo sapiens est une espèce dégénérée. Il n'y a pas de mots : l'inhumanité la sauvagerie l'animalité. » « L'indignation règne au sérail. Les houris offusquées réclament que la nana blanche se convertisse à l'Islâme et qu'elle soit excisée. Béatrice garde son calme et sur les conseils de son psychanalyste explique à Mahomet que malgré tout le respect qu'elle ressent pour le seul Dieu grand et bon elle n'est pas disposée à se départir de son clito. Le sultan la fait tirer au sort et l'informe qu'il appartiendra à son époux d'effectuer l'opération qui fera d'elle une génisse exemplaire. » (Jérémie ou Le bal des pupilles) « Les centaines de millions de cadavres enterrés dans les annales empuantissent le présent et je ne m'étonne plus que l'Histoire soit une suite de fléaux et désastres planifiés qui s'abattent sur la race animale pensant par intermittence. » « Écœuré par la barbarie de son époque et par les haches de guerre disséminées tout au long des siècles il n'a donc jamais été tenté de prendre au sérieux cette boutade d'après laquelle l'homme habite la terre en poète. » (Titre à suivre)

Et puis il y a l'humour, toujours l'humour, carrément délirant ou impitoyable: « La prostituée est une épouse à temps partiel, tant pis pour celles à temps plein. » (Opération New York) « Comment peux-tu prendre l'amour au sérieux lorsqu'on tombe amoureux précisément de toi. » « La flagellation trouve sa place dans la progression vers la sainteté, pourquoi pas dans la sexualité. » « Le cul c'est dans la tête. » (Minimal Minibomme) « Qui baise mal châtie bien » (Jérémie ou Le bal des pupilles) « Rien ne sert de pourrir il faut mourir à point » « On se remet de tout mais on guérit de rien » (Le noir et le blanc) « Sus au caca toutou » (Opération New York)

Nietzsche ne désavouerait certainement pas cet auteur iconoclaste: « Pendant qu'il fourrage dans ses papiers, le sempiternel crucifix accroché au mur de son bureau (deux bouts de bois de forme stylisée) me tend un bras d'honneur — et loin d'être en verve, je me contente de hausser les épaules en faisant la moue: Il n'existe pas, donc je suis. » (Le prince des ouaouarons) Et encore : « De même la Bible (ce florilège d'allégories orientales révisées par des pharisiens gréco-chrétiens) n'est-elle pas l'un des premiers almanachs visant à manipuler les masses: elle est bourrée de truismes qui réconfortent les simples d'esprits en mal de directives. » ( Titre à suivre) « Entre la stratégie de la séduction et les archives de la déception l'amour balance comme la philosophie nietzschéenne. » (Jérémie ou Le bal des pupilles)

Marc Gendron apprécie Bach mais aussi le jazz et le rock: « La musique rachète l'homme. » (Jérémie ou Le bal des pupilles) Installé au grand orgue du verbe, il emploie toutes les ressources de son instrument et rien ni personne n'échappe à son jeu truculent. Parmi ses thèmes de prédilection se trouvent l'illusion et le pouvoir, l'amour et le corps, l'éducation et la culture, la publicité et les médias, la maladie et la mort, les jeux de la conscience et du langage: « Le monde suit son cours logique et Gâââd ne possède plus assez d'énergie pour mettre de l'ordre dans Sa porcherie. » (Opération New York) « Le désir gambade parfois peut-être dans les prés de la subversion, trop souvent cependant il fait la belle dans les jardins du pouvoir. » « La prostitution est la forme du péché bourgeois, le pipe-chaud l'incarnation du voyeurisme prolo, la porno la routine de la consommation de masse. » (Minimal Minibomme) «Permettre de voir c'est le pouvoir. » « Je voudrais bien m'agripper à cette bouée mais l'écriture me semble un divertissement aussi aléatoire qu'une partie de fesses ou d'échecs — l'art du verbe n'est que le crack des intellos en quête de transcendance ou un cognac frelaté qui doit être agréé par le cartel de l'édition dont les visées et les normes respectent les demandes du marché tout court. » « Les pionniers de la pub (éclairés par les règles de l'apprentissage chez les souris) avaient pigé que l'acheteur n'est qu'un caniche friand de susucre et que n'importe quel stimulus peut à la longue provoquer un réflexe de jouissance. À tout bout de champ les bienfaits du shopping sont exaltés et martelés à coups d'annonces idylliques — mais un clip isolé ne signifie rien en soi et il n'a d'autre message que ce déferlement même qui engendre le mirage d'un bonheur proportionnel au nombre de massages subis » « Le néant c'est la télé avec tout son cortège de marionnettes papotant et pérorant à pleins tubes. » ( Titre à suivre) « Les valeurs : ce qui prévaut » (Louise ou La nouvelle Julie)

Fidèle à la devise de Verlaine selon laquelle l'art c'est d'être absolument soi-même, le narrateur de « Le noir et le blanc » nous confie qu'il ne veut pas se prostituer au goût du temps et se méfie des livres trop facilement accessibles : « Quoique les pisseurs de copie n'aient pas à se déshabiller souligna Nadia, ce à quoi il repartit que Non-non j'en conviens derechef mais plutôt à baliverner, si bien qu'enclin à effeuiller des poupées flambant nues je fis des gorges chaudes du roman qui se livre au premier venu. » « Non seulement s'encensèrent-ils sans vergogne tout au long de cette émission (m'as-tu vu m'as-tu lu) mais ils poussèrent aussi la farce jusqu'à convoquer leurs inconditionnels claqueurs à la barre des témoins — ces trois éminences bagoutantes se lissaient les fanons au bord de l'extase et célébraient La luxuriance d'un imaginaire apte à relever les challenges de la création en cette fin de millénaire fertile en conquêtes et en catastrophes: oui les chantres de la parole se devaient de répondre en toute bonne foi aux attentes du lecteur (achète-moi et tu seras racheté) dans des romans à la fois accessibles et bien ficelés. » (Le noir et le blanc)

Miséricorde! Il n'y a pas d'intrigue. Marc Gendron ne nous raconte pas de fausses vraies ou vraies fausses aventures, il n'y a pas de points de « repépère », les personnages n'ont d'importance que pour leur discours. Pour paraphraser Rousseau, il donne de la force aux mots et non aux choses. L'insurrection verbale de Marc Gendron attaque le verbe de l'intérieur: « Il est prêt à lancer son Larousse dans les orties si je ne suis pas sur le point de lui mijoter une chinoiserie qui fera blêmir ou verdir les alphabêtes friands de ragoût. » « Mais n'est-il pas présomptueux de m'adonner à ma gigue des morts si je ne me débarrasse des fers de la grammaire. » (Le noir et le blanc) Cet affranchissement de la grammaire, dans un autre contexte, passe par la sape de la langue mâline: « Odile-Andréas ouvrit les bras et Clara s'y lova : sous les jupes d'une femme tout est beau sain paisible. Là elle n'a plus à pomponner ses mots et à obéir aux règles du masc : mentir argumenter séduire contrôler. Là elle peut se laisser aller à épeler le féminin de la corps. » (Jérémie ou Le bal des pupilles). Ou, comme le dit la narratrice lesbienne de « Louise ou La nouvelle Julie » : « Un texte mâle possède sa cohérence et il suffit de l'interroger à partir d'une autre logique, de lui appliquer une autre grille pour le brouiller. »

Dans ses premiers romans, en particulier dans Minimal Minibomme et Les Espaces Glissants, Marc Gendron rejoint Apollinaire et pousse les limites de la typographie jusqu'à composer une phrase-chapitre sans paragraphes ni ponctuation, quelques pages écrites sur deux ou trois colonnes en parallèle ou en zigzag, en cascade, en oblique; on rencontre aussi des phrases verticales intercalées dans le texte et d'autres flottant dans des figures géométriques. Mais pourquoi ? Les « histoires » de Marc Gendron ne sont en fait que des pré-textes pour se colleter avec la démesure du monde et de l'écriture, une fête du langage nous faisant miroiter quelque chose comme — la présence hallucinante, exubérante, ébouriffante d'une autre réalité.

Il semble que Marc Gendron ait fait sienne la parole de Flaubert selon laquelle « Plus une idée est belle, plus la phrase est sonore. » En effet, le rapport de continuité harmonique entre la sonorité des mots et le rythme des sentences (marqué par une ponctuation faisant fi des règles) produit une prose lyrique très mélodique: « Auto coca loto, onguents mirifiques et céréales vitaminées, salamis macaronis tutti frutti: pétillante ou insipide l'image enjôle et chaque produit n'est qu'une pièce du casse-tête représentant un eldorado où le miel coule à flots. » Voilà comment sonne l'une des nombreuses descriptions de la publicité dans « Titre à suivre ». Voire encore cette tirade d'un prof de bio : « Bref si Pierrette vous charismatique au nom du seigneur Pasteur et de la princesse molécule c'est afin de vous sustenter de recettes crampons qui vous permettront de vous présenter à l'université avec des méninges déjà propédeutiquement tictaquant. Mais ne vous en faites pas : ces lumignonnes entourloupettes alexicalées lui roucoulent du gosier comme le plain-chant de la gorge de l'alouette ah. » (Jérémie ou Le bal des pupilles). Marc Gendron est un fanatique du texte qui ne dédaigne pas faire l'école buissonnière pour s'amuser dans le carré de sable des sons et des sens et il saute aux yeux que ses livres ont longuement macéré et mûri « Il y a deux types d'écrivants: les zozos qui pondent des scénarios bien léchés suivant un commode d'emploi et les zigotos qui accablés tiraillés déchirés vont de par des parchemins qu'il doivent défricher en tâtonnant. » « Même si personne n'avait jamais vu l'ombre d'un iota de cet ouvrage unique en son genre il écumait par tous les pores quand il exposait avec une conviction de brocanteur les substantifiques intuitions qui le guidaient: il chérissait la perfection de la forme qui à l'en croire rubis sur l'ongle ne s'obtenait qu'après une lente et cruelle macération. » (Le noir et le blanc)

Vous l'aurez compris, les œuvres de cet écrivain sont ancrées dans la modernité, elles puisent entre autres dans le Symbolisme (les correspondances analogiques), le Nouveau Roman (abandon du cadre traditionnel de la narration en faveur d'une aventure originale de l'écriture primant sur l'écriture d'une aventure), l'OuLiPo (l'écriture comme jeu et déconstruction) et le Surréalisme (la réalité comme apparence dérisoire et la volonté d'en libérer l'homme). Entraîné par sa jubilation verbale, Marc Gendron scrute le labyrinthe de lieux communs, de contradictions et d'incertitudes de l'esprit humain et crée une symphonie du langage qui décape et dérange. N'est-ce pas là le cri de Valéry: « Dépouillons l'écrivain du lustre que lui conserve encore la tradition et regardons-le dans la réalité de sa vie d'artisan d'idées et de praticien du langage écrit. »

Lisez-le et savourez car ceci est son sens. Laissez-vous caresser et chavirer par la plume acérée de cet énergumène, le verbe vous aura rarement été révélé si bien futé et fugué.

2002 © Daniel Tremblay