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2002 © Daniel Tremblay |
Le roman de Marc
Gendron «Titre à suivre» (XYZ éditeur,
1998) aborde lui aussi le thème de la publicité.
Que vous ayez aimé ou non «99F» (Grasset,
2000) de Frédéric Beigbeder, je pense que
vous lirez «Titre à suivre» avec un
grand intérêt car cette oeuvre me semble
littérairement mieux réussie.
Pour vous situer le livre en question, voici le texte
de présentation apparaissant à l'endos:
"Ayant perdu la tête en se vendant dans
le milieu de la publicité, le narrateur de Titre
à suivre essaie de retrouver son esprit par l'écriture.
Il ne veut ni se racheter ni s'immoler - il prend seulement
plaisir à tourner le fer dans la plaie. Autant
il avait jadis respecté les lois de la démence
quotidienne, autant il renifle avec délectation
et rancoeur les parfums de son dérèglement.
Sa foi dans les règles acceptées est pulvérisée
par les joies du questionnement et du doute. Aiguillonné
par la tumeur qui le ronge, il cherche à se déprendre
et à comprendre."
Le châtiment de ce narrateur qui s’est
fourvoyé dans la pub prend la forme d’une
tumeur au cerveau, tandis qu’Octave s'imagine
qu'il va lui aussi "mourir d'une tumeur au cerveau!"
(99F, p.108).
Permettez-moi de mettre en parallèle quelques
extraits pour souligner de nombreuses autres similitudes.
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"
Je n'ai rien atteint et si je retrouve mon assiette je
n'irai pas par quatre chemins: je repartirai de zéro
ou je me supprimerai en douce… je suis bien résolu
à brûler le madrier dans mon oeil avant de
m'éteindre dans de beaux draps — j'étais
un faux jeton qui se prostituait en retour d'une pluie
de deniers et il ne me reste plus que mes actes de contrition
et mes coups de gueule." (Titre à suivre p.
36)
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"Une petite
mise au point. Je ne suis pas en train de faire mon autocritique,
ni une psychanalyse publique. J'écris la confession
d'un enfant du millénaire. Si j'emploie le terme
"confession", c'est au sens catholique du terme.
Je veux sauver mon âme avant de déguerpir."
(99F, p. 31) |
Le narrateur de
«Titre à suivre» parle de "contrition"
et celui de «99F» de "confession".
Le premier est bien "résolu à brûler
le madrier dans (son) oeil avant de (s)'éteindre
dans de beaux draps." Quant à Octave, il "veu(t)
sauver (son) âme avant de déguerpir."
La ressemblance est frappante, cette histoire a des airs
de déjà lu: non seulement l'idée
de base est-elle la même (i.e. le texteur qui a
renié le verbe dans la pub), mais également
la forme sous laquelle cette idée est exprimée:
tous les deux cherchent le salut avant de s'éclipser.
Et cette idée première trouve une conclusion
identique : le narrateur de «Titre à suivre»
et celui de «99F» ont décidé
de se repentir grâce à l'écriture,
le premier en "versant du poivre sur sa plaie"
(p. 38), l'autre en "crachant dans la soupe"
(p. 30). L'un est plus introverti et plus philosophique
dans sa démarche, l'autre plus extraverti et politique.
Mais le point de départ de «99F» est
le même que celui de «Titre à suivre»
et son cheminement narratif est très ressemblant.
Un autre exemple : le narrateur de « Titre à
suivre » a pris la courageuse décision
de quitter son boulot et celui de « 99F »
opte pour une variante plus facile, se contentant d'afficher
la ferme volonté de se faire mettre à
la porte afin d'empocher le magot:
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Dans le hall d'entrée
le grand Chef pleurait sur ma lettre de démission
pendant qu'un saltimbanque se fendait en quatre pour multiplier
les couques et pistolets. (p. 96) |
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J'écris ce livre pour me faire virer.
Si je démissionnais, je ne toucherais pas d'indemnités.
(p.15) Mais je n'ai pas les couilles de démissionner.
C'est pourquoi j'écris ce livre (p. 20) |
Les deux narrateurs
sont aussi tourmentés par le besoin de laisser
un témoignage, ils cherchent à se faire
pardonner et à expier leurs égarements passés:
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Je voudrais bien m'agripper à
cette bouée mais l'écriture me semble un
divertissement aussi aléatoire qu'une partie de
fesses ou d'échecs - l'art du verbe n'est que le
crack des intellos en quête de transcendance ou
un cognac frelaté qui doit être agréé
par le cartel de l'édition dont les visées
et les normes respectent les demandes du marché
tout court. (p. 67)
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Il se trouve que j'ai été
témoin d'un certain nombre d'événements,
et que par ailleurs je connais un éditeur assez
fou pour m'autoriser à les raconter. (p. 30) Quant
à moi, j'en ai plein le pif, mes dents grincent,
mon visage est parcouru de tics et je sue des joues. Mais
je proclame ceci au nom de cette cohorte souffreteuse:
mon livre vengera toutes les idées assassinées.
(p. 58)
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Le narrateur de
«Titre à suivre» fait une démarche
existentielle pour retrouver son esprit. Pour Octave,
c'est une affaire de dénonciation, de vengeance.
Le premier voudrait bien "laisser une trace"
mais il est rebuté par "le cartel de l'édition".
Quant au second, il a déjà trouvé
un éditeur qui publiera son récit "d'un
certain nombre d'événements" pour venger
"toutes les idées assassinées".
Il s'agit donc d'une autre variation sur le même
thème: l'idée initiale de se racheter grâce
à l'écriture suit un plan d'action basé
sur des scènes similaires et s'appuie sur une même
volonté: celle de laisser un témoignage
et de se frotter au milieu de l'édition.
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"Émoustillé
par l'opulence des néons et des proies j'ai pollué
la Métropole avec une nuée de messages qui
s'abattaient sur tous les toits comme des vautours. À
force de parader parmi les soldes je suis passé
à côté de moi-même - j'ai beau
abjurer les trompettes de la pub mes mea-culpa sentent
la fraude car chien battu qui se fend d'un remords traîne
une queue fourchue." (p.128)
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"Je me suis retrouvé au sein
d'une machinerie qui broyait tout sur son passage, je
n'ai jamais prétendu que je parviendrais à
en sortir indemne. Je cherchais partout à savoir
qui avait le pouvoir de changer le monde, jusqu'au jour
où je me suis aperçu que c'était
peut-être moi." (p. 30) |
Le narrateur de
«Titre à suivre» "(a) pollué
la Métropole". Octave, lui aussi, "pollue
l'univers. (Il est) le type qui vous vend de la merde."
(p. 17), Cette idée principale de pollution est
non seulement identique mais elle s’exprime par
une analogie (merde et rapace) qui pointe vers le même
signifié : les détritus, autrement dit la
pub. Le narrateur de «Titre à suivre»
et celui de «99F» sont tous deux des pollueurs
de la pire et même espèce. De plus, le narrateur
de «Titre à suivre» a beau battre sa
coulpe par des "actes de contrition", il est
résigné à payer de sa personne. La
même réaction se retrouve chez Octave : en
couchant sa confession par écrit il entrevoit qu'il
ne parviendra pas "à en sortir indemne."
Les remords des deux narrateurs sont identiques : sachant
qu'il n'est pas facile de changer le monde qu'ils ont
contribué à modeler, ils cherchent la rédemption
par l'aveu public de leurs torts. Bref, ils font la même
réflexion intérieure et l'expriment de façon
analogue.
Le narrateur de «Titre à suivre»
compare la pub à une drogue et Octave poursuit
dans cette veine:
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"Il y a des manques à
combler et la pub (l'opium fixant les goûts fiables
et vérifiables du peuple, l'aphrodisiaque garantissant
la possession totale) crée un espace virtuel où
la grisaille du quotidien est occultée par une
batterie d'arcs-en-ciel." (Titre à suivre,
p. 32), ou encore : "Charmé par les leurres
salvateurs qui s'affichent partout où se trafique
la langue le spectateur est en manque à perpétuité."
(p. 70).
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"Votre souffrance dope le commerce.
Dans notre jargon, on l'a baptisée "la déception
post-achat". Il vous faut d'urgence un produit, mais
dès que vous le possédez, il vous en faut
un autre. L'hédonisme n'est pas un humanisme: c'est
du cash-flow. Sa devise? "Je dépense donc
je suis". Mais pour créer un besoin, il faut
attiser la jalousie, la douleur, l'inassouvissement: telles
sont mes munitions. Et ma cible, c'est vous." (p.
17)
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D'après
le narrateur de «Titre à suivre», le
spectateur est en "manque à perpétuité"
et la pub est l'opium qui comble ses manques en lui laissant
entrevoir des paradis artificiels qu'il peut se procurer
à l'envi. Selon Octave, notre "souffrance
dope le commerce", car une nouvelle dose de biens
matériels mène à l’inassouvissement
et donc à la surenchère des besoins. Non
seulement Octave est-il très proche du narrateur
de «Titre à Suivre», mais aussi de
Réjean Ducharme : "La vie n'est pas ce qu'on
pense, mais ce qu'on dépense." (Les enfantômes,
éd. Lacombe, 1976).
Les deux auteurs n'ont pas manqué de faire quelques
rapprochements avec d'autres mammifères:
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"Les pionniers de la
pub (éclairés par les règles de l'apprentissage
chez les souris) avaient pigé que l'acheteur n'est
qu'un caniche friand de susucre et que n'importe quel
stimulus peut à la longue provoquer un réflexe
de jouissance… — mais un clip isolé
ne signifie rien en soi et il n'a d'autre message que
ce déferlement même qui engendre le mirage
d'un bonheur proportionnel au nombre de massages subis.
" (p. 14-15)
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" ...ils veulent nous transformer
en moutons... " ( p. 39) ou encore " ... la
publicité dont rêve tous les annonceurs :
quelque chose de joli, doux, inoffensif et mensonger destiné
à un large public de veaux bêlants... "
(p. 92) |
Comparer le consommateur
à un "caniche friand de susucre", c'est-à-dire
à une personne dont le caractère doux et
passif assure une obéissance aveugle au stimulus,
ou le "transformer en mouton(s)", en une personne
crédule donc, en un suiveur qui se laisse facilement
berner, tout cela est du pareil au même. Encore
une fois, l'idée génératrice est
la même et elle trouve son expression dans des images
animalières équivalentes.
Séduction, jolies filles, boniche, plaisir,
allusions sexuelles, Octave et le narrateur de «Titre
à suivre» parlent un idiome commun :
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"Lorsqu'une bagnole
fait saliver et qu'une boniche suscite le besoin d'un
soda ou d'un sofa ou d'une galette de soya, le pari est
gagné. La même langue lèche le goulot
d'une pinte de bourbon aussi goulûment qu'une pine
en gros plan et le spot met dans le mille qui associe
le plaisir à n'importe quel autre produit s'insinuant
dans le champ de perception du voyant: sur le seuil de
l'Éden les pupilles ne se dilatent que si la tapée
de marchandises étalées regorge de connotations
sexuelles à toutes les sauces." (p. 32-33)
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" La séduction, la séduction,
tel est notre sacerdoce, il n'y a rien d'autre sur Terre,
c'est le seul moteur de l'humanité." (99F,
p. 79) "... et toujours les jolies filles, puisque
tout repose sur les jolies filles, rien d'autre n'intéresse
les gens." (p. 245) |
Mimétisme réductif?
Frédéric Beigbeder et Marc Gendron ont également
tous deux établi un parallèle entre la religion
et la pub:
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"De même la Bible
(ce florilège d'allégories orientales révisées
par des pharisiens gréco-chrétiens) n'est-elle
pas l'un des premiers almanachs visant à manipuler
les masses: elle est bourrée de truismes qui réconfortent
les simples d'esprit en mal de directives." (p.30)
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"AIMEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES",
"PRENEZ ET MANGEZ-EN TOUS CAR CECI EST MON CORPS",
"PARDONNEZ-LEUR, ILS NE SAVENT PAS CE QU'ILS FONT",
"LES DERNIERS SERONT LES PREMIERS", "AU
COMMENCEMENT ETAIT LE VERBE" — ah non, ça
c'est de son père)." (p. 94)
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Le narrateur de
«Titre à suivre» soutient que la Bible
est l'un des premiers almanachs visant à manipuler
les masses et Octave cite de nombreux slogans du Christ
faisant maintenant partie du patrimoine culturel occidental.
La religion est une forme de pub visant à leurrer
le commun des mortels et les deux narrateurs s'appuient
sur ce constat pour dénoncer cette grand-messe
qu'est devenue la pub. Encore une fois l'idée de
base est la même, la situation est similaire et
elle est exprimée dans un langage comparable mais
avec un accent légèrement différent:
le narrateur de «Titre à suivre» s'exprime
sur un ton caustique avec ses propres mots, tandis qu'Octave
offre une variation banale du mode narratif de la même
idée en répétant tout simplement
les paroles du Christ sur un ton ironique.
Il y encore bon nombre de pages où les thèmes
de Marc Gendron et de Frédéric Beigbeder
ainsi que leurs formes d'expression sont étroitement
liés. Ainsi leur manière de décrire
le sexe, la coke, la violence, le fric et le luxe est
quasiment identique.
Par exemple, leur poste lucratif d'écrivains
publicitaires ("texteur à gages" précise
le narrateur de « Titre à suive »
et "concepteur-rédacteur" selon Octave)
permet à ces deux lurons de loger à l'enseigne
de l'opulence:
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"Je me suis renié
pour une grosse voiture et les cabrioles de la littérature
ne peuvent me racheter" (p. 34)… — mes
lunettes chic soulignaient ma fonction de faux-monnayeur
de choc grassement payé pour intoxiquer ma génération."
(p. 38)
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"Je passe ma vie à vous mentir
et on me récompense grassement" […]
"Je vous manipule et on me file la nouvelle Mercedes
SLK" (p. 18). |
Le premier s'est
"renié" (dans la pub) pour une "grosse
voiture" et le second nous "manipule" (à
travers la pub) pour une Mercedes. On ne sait pas si la
grosse bagnole du narrateur de « Titre à
Suivre » est aussi luxueuse que celle d'Octave,
par ailleurs nous sommes bien renseignés sur leurs
émoluments: dans les deux cas ils sont "grassement"
rétribués.. Encore une fois, la situation
des deux personnages, les éléments de l'action
et leur discours narratif sont équivalents.
Les deux narrateurs avouent également un autre
privilège inhérent à leur métier:
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"Mon mentor et même
certaines accointances renommées pour leurs bassesses
se délectaient de mes balivernes, sans compter
que je faisais de beaux voyages là où tout
n'est que calme et volupté — sexe fric et
rock." (p. 30)
|
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"J'interromps vos films à la
télé pour imposer mes logos et on me paye
des vacances à Saint Barth ou a Lamu ou a Phuket
ou à Lascabanes (Quercy)." (p.18) |
L'évolution dramatique
suit ici aussi le même scénario et les termes
narratifs sont similaires : les deux narrateurs rapportent
leur goût pour des destinations exotiques aux frais
de l'employeur. Sans parler du voyage d'Octave pour un
séminaire de publicitaires au Sénégal
(p. 124) ou encore à Miami pour tourner le clip
du yaourt Maigrelette (p.170), deux épisodes qui
sont particulièrement assaisonnés de sexe
fric et rock.
Si le narrateur de «Titre à suivre»
ne force pas sur la coke ou l'alcool, quelques personnages
éphémères du roman — surtout
les vamps parfumées désireuses de devenir
des stars de la pub — s'excitent la matière
grise. Et Octave se creuse lui aussi les méninges
en sniffant la poudre blanche à la mode:
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"L'orgasme n'est qu'un
milk-shake en comparaison du rush qui la terrasse quand
la coke lèche les moindres recoins de son cerveau."
(p. 74).
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« C'est le problème avec la
cocaïne parisienne: elle est tellement coupée
qu'il faut avoir les narines solides." (p. 41) |
Côté violence,
nos deux auteurs n'y vont pas de main morte non plus.
Le narrateur de « Titre à suivre »
décrit rapidement quatre crimes atroces commis
par un serial killer. Les victimes sont : une star des
médias (une lectrice du journal télévisé),
une fille publique (une call-girl haut de gamme), une
femme de la haute, deux adolescentes anonymes (des jumelles
identiques). Il saute aux yeux que ces scènes
ne sont là que pour souligner un autre aspect
de la démence du monde des images et du monde
tout court. Elles permettent en effet au narrateur d'illustrer
la bêtise partout galopante et de dénoncer
le comportement complice des marchands de l'information
qui tout en hissant bien haut la bannière de
l'objectivité journalistique se servent de "la
voracité libidineuse des lecteurs… (ou
des spectateurs) pour lancer un produit ou manipuler
l'opinion."
Dans « 99F », c’est une vieille riche
qui est trucidée, une innocente retraitée
incarnant l'actionnariat mondialisé, la bourse,
le méchant monde capitaliste. Octave participe
activement à cette scène terrifiante visant
à punir un "responsable du malheur contemporain"
et ce meurtre s'inscrit donc dans la perspective symbolique
de "changer le monde" exprimée au début
du livre. Les coupables sont identifiés, Mosanto
et Coca-Cola (deux géants de l’agro-alimentaire)
représentent le cannibalisme des multinationales
et leur hantise du profit.
Mais il est important de retenir ceci : ces scènes
caractéristiques font appel à la cruauté,
elles sont toutes les deux dénonciatrices quoique
d'un ton différent et elles produisent le même
effet dramatique dans la progression de l'histoire.
Les deux romans nous offrent de nouveau un enchaînement
d'évènements et un style narratif identiques
lorsque les narrateurs se la roucoulent douce en observant
les contorsions de nymphes contemporaines siliconées
sur toutes les coutures:
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"Tout chez elle étant
artificiel (son masque fardé, son style mi-fleur
bleue mi-vicieux et ses courbes galbées par le
silicone) elle frôle le perfection…- galvanisés
par cette poupée gonflable pourvue des attributs
de la divinité les mâles délirent
en couleurs dès qu'ils étreignent ses formes
virtuelles. Dans ce culte elle est pure apparence et elle
ne prétend pas être autre chose que ce qu'ils
veulent bien qu'elle soit: créée pour les
distraire elle campe une déesse inaccessible appartenant
à tous." (p. 81)
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"Nous avons terminé la soirée
au Club Madonna, une boîte de strip-tease où
les danseuses en string, parfaitement refaites (on pourrait
créer un mot-valise pour ces cyberfemmes: "parefaites"),
viennent chercher avec leur bouche les billets de dix
dollars que vous coincez dans votre braguette. Nous avons
acclamé des seins incroyables mais pas vrais."
(p. 202) |
« Poupée
gonflable", "pure apparence", « déesse
inaccessible, "divinité" pour l'un, "cyberfemmes
parefaites" pour l'autre: encore et toujours la similitude
des situations est frappante et les deux narrateurs lèchent
leur divin su-jet d'une seule et même langue.
|
"Le mannequin prisant
les serviettes hygiéniques Gigi jouait sur tous
les registres de l'innocence et de la lubricité
propres aux porno stars les plus gonflées. Sa moue
dessinait un orifice évocateur et ses renflements
d'angelle dépravée promettaient à
la meute des seigneurs-aux-poches-pleines-et-aux-tempes-dégarnies
les outrages les plus impudiques. L'un des obsédés
de l'équipe l'a caricaturée bâillonnée
avec la bandelette ouatée qu'elle s'évertuait
à promouvoir - hanté par son look il rêvait
de la ramoner avec la matraque chromée de Lucifer
convertie en gode." (p.37) |
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"On croirait vraiment que Tamara a
joué la comédie toute sa vie - en y réfléchissant,
c'est d'ailleurs le cas. Le métier de call-girl
forme au métier d'actrice bien plus efficacement
que l'Actors Studio. Elle se révèle très
à l'aise devant la caméra. Elle séduit
l'objectif, bouffe son yaourt goulûment comme si
sa vie en dépendait… - She's THE girl of
the new century, déclare sentencieusement le producteur
technique local à la nana qui tourne le "making
off"? Je crois qu'il veut 1) la présenter
à John Casablanca d'Elite, 2) la prendre en levrette.
Mais pas forcément dans cet ordre-là."
(p. 182)
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L'Eve future apparaissant
dans «Titre à suivre » n'annonce-t-elle
pas la starlette du spot destiné à faire
mousser la vente du yaourt Maigrelette, lequel spot constitue
la trame autour de laquelle «99F» est tissé
? Encore un fois l'idée de base, le langage pour
l'exprimer, voire le ton et les accents sont les mêmes.
Le mannequin de «Titre à suivre» prend
des poses lascives pour mieux faire passer le signifié
et un membre de l'équipe de production voudrait
bien faire l'insignifiant avec elle. Quant à Tamara,
son métier de call-girl (un beau job dans la communication
donc) l'a bien formée au boulot d'actrice orale
sachant bien râler, elle bouffe son yaourt en se
pourléchant les babines et là encore un
lévrier sentencieux de l'équipe technique
locale aimerait bien enfiler cette chienne de luxe et
planer au septième ciel en sa compagnie. Non seulement
la réalité caractéristique des deux
personnages est-elle la même, mais à nouveau
le déroulement et l'enchaînement des actions
suivent exactement la même trame.
Obsédé par Mona (le mannequin de «Titre
à suivre» qui vantait les vertus des serviettes
hygiéniques Gigi) un petit rigolo de l'équipe
de tournage avait ébauché une caricature
et crayonné un texte obscène dans une
bulle, et cette scène trouve un écho dans
le scénario du clip Maigrelette qui remportera
le prix du meilleur film publicitaire au Festival de
la Semaine Mondiale de la Publicité à
Cannes:
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"Je suis au coton et
tu verras rouge dès que tu m'auras prêté
un petit coin d'édredon et lorsque Mona a été
éventrée par ce tueur qui semait la terreur
de par la ville, les ventes ont continué de grimper:
le consommateur est fasciné par les figures poupines
badigeonnées de foutre et de sang." (p.36) |
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"Tamara… s'étale du yaourt
sur les joues et les seins. Elle tourne sur elle-même,
gambade pieds nus dans le jardin et se met à engueuler
son yaourt allégé en hurlant "Maigrelette!
I'm gonna eat you!", …, et elle lèche
le fromage blanc sur sa lèvre supérieure
en gémissant (zoom sur son visage sur lequel dégouline
le produit): "mmmm… Maigrelette, It's so good
when it comes in your mouth." (p.194)
|
Tamara est-elle le sosie de
Mona ? Oui, partout et toujours le spectateur-consommateur
est un voyeur fasciné par des figures poupines
souillées de sperme ou de yaourt. Cette coïncidence
est d’autant plus frappante qu’à la
page suivante de «Titre à suivre» on
peut lire: une groupie un brin opulente "enlace un
frigo et y pêche un yaourt minceur qu'elle lape
transie." Et le narrateur ajoute qu'elle ira peut-être
chez "une copine aux formes éblouissantes
qui éventera les secrets d'une diète équilibrée."
Comme vous pouvez le constater, les points de ressemblances
entre ces deux romans abondent. Le sujet est le même,
il est développé en suivant le même
fil conducteur et l'on a souvent affaire à des
tournures identiques ou voisines. Les similitudes entre
les personnages, l'action principale, l'enchaînement
et la progression de nombreuses scènes caractéristiques
ainsi que plusieurs épisodes de «Titre
à Suivre» et «99F» sont étonnants.
La même impression d'ensemble se dégage
des deux oeuvres.
Ceci dit, il y a des différences notoires. Marc
Gendron prend l'histoire du narrateur de «Titre
à suivre» qui a perdu la tête en
se vendant dans le milieu de la pub comme un prétexte
pour se lancer dans l'aventure de l'écriture
à la manière d'un Burroughs ou d'un Michaux,
revus et corrigés par un maître zen décapant
et hilarant. Frédéric Beigbeder dépeint
ce même milieu et rend compte par une écriture
sensationnaliste d'une aventure qu'il a personnellement
vécue. Il traite la réclame comme un chroniqueur
et nous donne, en passant, le budget publicitaire de
Coca Cola (99F, p. 75), le chiffre d'affaires de Microsoft
et la fortune personnelle de Bill Gates (p. 85), les
dépenses des principaux annonceurs français
en publicité (p. 221), les plus gros salaires
de la France (p. 223 à 225) : cela ressemble
plus à la section économique d'un quotidien
qu'à de la littérature. Et passons sous
silence deux pages entières de slogans publicitaires
ayant pignon sur rue (p. 281-282) et les innombrables
publicités gratuites pour de nombreuses compagnies,
comme si on n'en voyait pas déjà assez
dans les journaux et à la télé!
Octave est investi d'une mission et il découvre
que le pouvoir de changer le monde réside peut-être
en lui. Par contre, le narrateur de «Titre à
suivre» n'a aucunement cette prétention,
face à la mort tout cela n'est que littérature
et il prend seulement plaisir à tourner la plume
dans sa propre plaie. Cette attitude conduit à
un choix littéraire tout à fait différent
: l’écriture relevée de Marc Gendron
est très éloignée de la langue
parlée de Frédéric Beigbeder. Le
style de « Titre à suivre » est à
la fois lyrique et tranchant: "Auto coca loto,
onguents mirifiques et céréales vitaminées,
salamis macaronis tutti frutti: pétillante ou
insipide l'image enjôle et chaque produit n'est
qu'une pièce du casse-tête représentant
un eldorado où le miel coule à flots.",
ou encore : "Écrire, c'est la manière
la plus ostentatoire de garder silence — c'est
caresser l'espoir qu'un chapelet de mots puisse déboucher
sur une parole vraie." "La pub, c'est le triomphe
de la complaisance, c'est le miroir aux alouettes dans
lequel se reflètent les croyances et les élans
d'une nation s'accrochant à ses lieux communs."
, "La tyrannie de la réclame: le marché
des apparences."
Si vous avez aimé le livre de Frédéric
Beigbeder, il y a fort à parier que vous apprécierez
aussi celui de Marc Gendron, tant au niveau du fond
que de la forme. Si par ailleurs vous ne l'avez pas
aimé, alors je vous recommande fortement de lire
«Titre à suivre», car son approche
de la publicité est littérairement supérieure,
c'est une oeuvre nettement mieux écrite, animée
par un verbe incisif et plein d'humour: "Tous les
individus sont égaux devant un chimpanzé
qui se pourlèche les babines en ajustant sa casquette."
"La repentance tient du stratagème pour
mieux brailler des amen." "Investi de la mission
d'évangéliser aussi bien les poires que
les incrédules j'ai multiplié les prix
miracles et converti les consommateurs avertis en flambeurs."
"Les grandes questions (évacuées
par les équations de la physique) relèvent
le menu des talk-shows et se règlent entre deux
pauses publicitaires." "Le néant c'est
la télé avec tout son cortège de
marionnettes papotant et pérorant à pleins
tubes." "De par leur adulation des mécanismes
du libre-échange, la pub et la pute ont partie
liée."
Connaissant maintenant le prix du livre de Frédéric
Beigbeder, il ne vous reste plus qu'à vous rendre
compte par vous-mêmes de la valeur de celui de
Marc Gendron.
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Daniel Tremblay ©
novembre 2002
Dans le numéro de novembre de Lire, un article
pieux d’Emmanuel Lemieux (Dévastatrices,
les rumeurs de plagiat) sonne les clairons de la publicité
pour « 99F » de Frédéric
Beigbeder. Mon étude comparative entre cette œuvre
et « Titre à suivre » de l’écrivain
québécois Marc Gendron y est déclarée
hérétique, le roman de ce dernier mis à
l’index et Beigbeder absout.
«Le journaliste est au marché de l’édition
littéraire ce que le mécène était
à l’art d’Ancien Régime. Il
peut tout – tout : encenser un livre, ou lui faire
la mort sans phrase, rayer d’un trait de plume tout
contradicteur, ironiser en passant sur la critique de
la critique littéraire. Et ce dont le journaliste
n’a pas idée, ce dont il n’a pas l’intuition
littéraire, il l’étouffe, sans même
le vouloir.» (Jean-Philippe Domecq, Qui
a peur de la littérature ? , p. 36, éd
Mille et une nuits, 2002)
L’article de Lemieux est truffé de bobards
et il me fait tout simplement un procès d’intention
sans analyse digne de ce nom sur les textes en question
; le Directeur de la rédaction de Lire, me refusant
un droit de réponse aussi visible et équivalent
à l’espace utilisé par Lemieux, m’avise
d’écrire brièvement (« Si
votre droit de réponse fait une page, ce sera abusif
et il ne passera pas.» dit-il) au courrier
des lecteurs, ce qui est une forme déguisée
de censure. Je voudrais donc ici remercier Exigence
Littérature (www.e-litterature.net) qui
m'a fourni l’occasion de faire une mise au point
sur la bulle de Lemieux dans un espace libre et non soumis
aux oukases des grandes confréries littéraires.
« Et parce que pour pouvoir protester, il faudrait
disposer d’un lieu de parole. » (Pierre
Jourde, La littérature sans estomac, p.
64, éd L’esprit des péninsules, 2002)
Si l’on veut comprendre l’opportunisme de
Lemieux, il faut d’abord préciser que j’ai
reçu, en septembre dernier, deux emails de son
patron. Dans un premier temps, le message suivant:
« Nous avons bien pris connaissance de votre
envoi en date du 10 septembre dernier et nous vous en
remercions. Malheureusement, nous ne sommes pas intéressés
par votre proposition d’article
Avec nos cordiales salutations.
p/o La rédaction »
Et puis, quelques heures plus tard, j’ai reçu
ce courriel:
« Pierre Assouline et moi-même venons
tout juste de prendre connaissance de votre message. Etant
en réunion ce matin, la personne me remplaçant
n’a pas jugé bon de nous le transmettre.
Ce sont des manipulations qui arrivent, d’autant
que comme vous vous en doutez, nous recevons bon nombre
de propositions envoyées spontanément à
l’ensemble de la rédaction. Nous vous prions
donc de nous en excuser. Cela dit, nous tenions à
vous préciser que nous étudions votre sujet
et que nous ne manquerons pas de vous tenir informé
le cas échéant.Cordialement à vous.
Sophie Roy-Boxhorn
Assistante de Pierre Assouline »
Voilà une explication qui tourne à la bourde.
La vérité est plus simple: l’auteur
de 99F a été critique chez Lire
pendant trois ans et cela crée des liens. Après
réflexion, à bien y penser et en dernière
analyse – voire après en avoir parlé
avec Beigbeder lui-même – la (très
haute) rédaction s’est ravisée, question
de me garder à l’œil et d’en savoir
plus sur mes intentions.
Lors d’une longue conversation téléphonique
(il est donc faux que j’aie refusé de contacter
ce tartuffe), Lemieux m’a informé qu’il
avait demandé l’avis d’Hélène
Maurel-Indart, auteure de l’ouvrage de référence
« Du Plagiat » (PUF). Ne
sachant pas orthographier son nom, il y a fort à
parier qu’il n’a pas lu cette œuvre!
Quoi qu’il en soit, elle aurait émis l’avis
qu’il n’y a pas plagiat. Or quelques semaines
auparavant je lui avais écrit pour solliciter son
expertise. Voici sa réponse:
« Je vous remercie très sincèrement
de m’avoir transmis vos réflexions sur 99
F. Effectivement ces deux romans s’inscrivent dans
la même veine et il semble que le français
se soit inspiré fortement du québécois,
même si juridiquement, le plagiat serait très
difficile à prouver».
Inutile de spéculer sur les raisons qui ont poussé
Mme Maurel-Indart à changer de discours lorsqu’elle
s’adresse aux mandarins de l’édition.
Je suppose que cette universitaire, compte tenu de la
position de Beigbeder et des rumeurs (lancées par
l’intéressé lui-même ?) concernant
sa nomination prochaine chez la vieille dame respectable
de l'édition française, ne tient pas à
froisser les caïds du milieu et veut se ménager
ses entrées partout.
Lemieux qualifie mon étude de « lourde
». Il est vrai que son article est plutôt
léger et manque de substance, tout préoccupé
qu’il est d’imposer ses a priori en colportant
des ragots au lieu d’analyser les textes. «
Puisqu’on est incapable de le réfuter intellectuellement,
ou trop paresseux pour le faire, le dissident doit être,
en effet, disqualifié moralement. Juger, décréter,
parfois lyncher deviennent des substituts tant à
la pensée qu’à l’action. »
(Elisabeth Lévy, Les Maîtres censeurs,
p. 53, éd JC Lattès, 2002).
Voici un autre point de vue de l’un de mes interlocuteurs
: «Votre analyse est très bonne, bien
structurée et tient admirablement la route. Votre
article m’intéresse véritablement
au sens où il ne s’agit pas d’une rumeur
mais bien d’un article reposant sur une analyse
sérieuse ; j’aimerais publier votre article
si vous êtes d’accord.» Soit dit
en passant, deux rédactions indépendantes
françaises ont inclus mon article dans leur site:
Exigence Littérature (www.e-litterature.net)
et Ecrits…Vains? (www.ecrits-vains.com).
Auraient-ils tous tort ?
Lemieux se rit de la piété de mon article.
Mais pourquoi donc dirais-je du mal d’un auteur
que j’apprécie beaucoup et sur qui j’ai
créé un site ? N’y a-t-il pas aussi
de la piété dans son papier ? Doit-on s’étonner
que Beigbeder reçoive l’absolution de l’angélique
institution où il prêcha pendant trois ans
? Car c’est bien de religion qu’il s’agit
ici, d’une histoire de clocher qui sonne faux:
« C’est aller vite en besogne, et au mépris
du lecteur, que de nous supposer dupes de certaine critique
littéraire dont les choix promotionnels sont, disons-le,
stupéfiants de duperie – ou d’autoduperie.
» (Jean-Philippe Domecq, opus cité,
p. 32)
Et lorsque, dans l’article Sollers le parrain du
numéro d’octobre de Lire, Marie Gobin veut
nous faire gober que son collègue Lemieux prépare
une « enquête mordante » sur
les nouvelles castes intellectuelles et médiatiques,
cette réflexion de Domecq prend tout son sens et
nous rappelle que « Là où il y
a des honneurs, il y a des laquais. » (Julien
Gracq)
La mauvaise foi de Lemieux est manifeste. Il suffit de
lire le début respectif de nos articles pour s’en
convaincre. De plus, je n’ai jamais affirmé
qu’on devait « idolâtrer »
Titre à suivre ou son auteur et je n’ai jamais
qualifié Beigbeder de « sangsue inextinguible
» et de « truand littéraire
». Enfin, je n’ai jamais employé
le mot plagiat. J’ai simplement noté de nombreuses
similitudes entre plusieurs scènes caractéristiques
et la manière de chaque auteur de traiter la publicité.
J’en ai conclu que si les lecteurs ont aimé
le livre de Beigbeder, il y a fort à parier qu’ils
apprécieront aussi Titre à suivre car son
approche de la publicité est littérairement
supérieure.
Pourquoi ce journaliste déforme-t-il ainsi mes
propos à qui mieux mieux. Qu’il me soit permis
d’avancer que c’est sa servilité envers
la belle famille de l’édition qui guide sa
démarche. Lemieux publiera chez Denoël en
janvier prochain et il se ménage les faveurs de
Beigbeder, tout en flattant son patron, Pierre Assouline,
qui a publié dans plusieurs grandes maisons…
dont Gallimard !
Dans La littérature sans estomac (opus cité,
p.39), Pierre Jourde fait le constat suivant : «
Certains organes littéraires ont une responsabilité
dans la médiocrité de la production littéraire
contemporaine. On pourrait attendre des critiques et des
journalistes qu'ils tentent, sinon de dénoncer
la fabrication d'ersatz d'écrivains, du moins de
défendre de vrais auteurs. Non que cela n'arrive
pas. Mais la critique de bonne foi est noyée dans
le flot de la critique de complaisance. On connaît
cette spécialité française, qui continue
à étonner la probité anglo-saxonne:
ceux qui parlent des livres sont aussi ceux qui les écrivent
et qui les publient. »
Lemieux avance aussi que « Gendron a réalisé
un roman introspectif sur la littérature, Beigbeder
une grosse farce sur la publicité, auxiliaire de
la mondialisation néolibérale. »
C’est à croire que j’ai inventé
pour les fins de mon étude les nombreuses citations
de Gendron sur la publicité ! Une fois encore Lemieux
trompe le lecteur et lui inflige une conclusion dictée
d’avance: Beigbeder a tout inventé et il
se doit d’être intronisé par Lire.
Oui, Titre à suivre a le mérite d’aborder
d’autres sujets que la publicité, ce qui
fait de son auteur un écrivain et non un spécialiste
du marketing et des manœuvres médiatiques.
Les œuvres de Marc Gendron ne sont pas de pures distractions
mais de la littérature exigeante pour lecteurs
avertis : le lecteur est en droit de se faire sa propre
opinion… à condition que l’auteur n’ait
pas été mis à l’index par les
pontifes du monde littéraire :
« Ceux que j’appelle les rebelles de confort
tiennent férocement à conserver aussi le
monopole de la critique parce qu’une certaine forme
de critique est inséparable aujourd’hui de
l’exercice du pouvoir […] Ils veulent éternellement
rester où ils sont, et que tout émane d’eux,
la critique et la domination ; la pastorale libertaire
et la sélection sectaire
(souligné par moi). Ainsi, tiennent-ils le bon
bout par les deux bouts du tabou. Mais la farce commence
à être réchauffée, et ils ne
paraissent plus que pour ce qu’ils sont : des approuveurs
galonnés, des adjudants du non-conformisme blanchis
sous le harnais et qui aboient le mot « pamphlet
» chaque fois qu’une critique menace leur
approbation absolue camouflée en critique dans
le sens du vent. » (Philippe Muray, Exorcismes
Spirituels III, p. 164, éd Les belles lettres,
2002)
Lemieux ne cite qu’une seule des nombreuses comparaisons
mises en parallèle dans mon étude, à
la décharge de Beigbeder bien sûr. Il juge
beaucoup plus qu’il n’analyse : «
Cette idéologie dominante qui se pense libérée
de toutes les idéologies ne peut triompher qu’au
prix d’une abdication fondamentale qui conduit à
faire prévaloir l’émotion sur la compréhension,
la morale sur l’analyse, la vibration sur la théorie.
» (Elisabeth Lévy, opus cité,
p. 17)
Examinons deux de ces comparaisons :
"Lorsqu'une bagnole fait saliver et qu'une boniche
suscite le besoin d'un soda ou d'un sofa ou d'une galette
de soya, le pari est gagné. La même langue
lèche le goulot d'une pinte de bourbon aussi goulûment
qu'une pine en gros plan et le spot met dans le mille
qui associe le plaisir à n'importe quel autre produit
s'insinuant dans le champ de perception du voyant: sur
le seuil de l'Éden les pupilles ne se dilatent
que si la tapée de marchandises étalées
regorge de connotations sexuelles à toutes les
sauces." (Titre à suivre, p. 32-33)
"La séduction, la séduction, tel est
notre sacerdoce, il n'y a rien d'autre sur Terre, c'est
le seul moteur de l'humanité." (99F, p. 79)
"... et toujours les jolies filles, puisque tout
repose sur les jolies filles, rien d'autre n'intéresse
les gens." (99 Francs, p. 245)
"De même la Bible (ce florilège d'allégories
orientales révisées par des pharisiens gréco-chrétiens)
n'est-elle pas l'un des premiers almanachs visant à
manipuler les masses: elle est bourrée de truismes
qui réconfortent les simples d'esprit en mal de
directives." (Titre à suivre, p.30)
"AIMEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES", "PRENEZ
ET MANGEZ-EN TOUS CAR CECI EST MON CORPS", "PARDONNEZ-LEUR,
ILS NE SAVENT PAS CE QU'ILS FONT", "LES DERNIERS
SERONT LES PREMIERS", "AU COMMENCEMENT ETAIT
LE VERBE" — ah non, ça c'est de son
père)." (99 Francs, p. 94)
Lequel de nos deux écrivains est le plus créatif
? Il saute aux yeux que l’invention et le style,
comme le soutient si judicieusement Maurel-Indart, ne
sont absolument pas comparables. Gendron pense par lui-même,
il écrit dans une langue imagée et très
rythmée ; tandis que Beigbeder cite pêle-mêle
des slogans de la Bible ou se contente de navrantes répétitions
dans de courtes phrases empruntées à la
langue parlée. Oui, Lemieux a raison, 99 F
est une grosse farce provenant d’un auteur appartenant
à une race bien spécifique: «
les je-ne-sais-qui et les presque-rien, toute la clique
des faiseurs, truqueurs, pipeurs, enjôleurs, doreurs
de pilules et joueurs de gobelets, dont les pratiques
répétitives nous navrent .» (Michel
Waldberg, La parole putanisée, p. 23,
éd. de La différence, 2002).
Je terminerai en disant ceci : essayez de vous libérer
des « perversions du système éditorial
» (Pierre Jourde, opus cité, p. 9) et
du monopole des médias, ayez le courage de lire
des auteurs qui n’appartiennent pas à une
coterie littéraire.
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